On voudrait nous faire croire que tout commence le 7 octobre 2023. Que le massacre d’environ 1 200 Israéliens par le Hamas serait l’origine, et non la conséquence. Qu’il s’agirait d’une guerre entre deux camps, d’un cycle de violences où chacun aurait sa part. Mais cette lecture nie l’essentiel : l’asymétrie. Asymétrie des moyens, asymétrie du droit, asymétrie du récit.
Le récit dominant efface soigneusement la Nakba, cette catastrophe fondatrice qui, en 1948, a vu l’expulsion de plus de 750 000 Palestiniens, la destruction de plus de 400 villages, et l’impossibilité, encore aujourd’hui, pour les descendants de revenir sur leur terre. Cette dépossession est continue. Comme l’écrit l’historien Ilan Pappé, Israël a été bâti sur une logique de « nettoyage ethnique planifié », et non sur une guerre défensive.
On a aussi effacé l’OLP, reconnue en 1974 par l’ONU comme « le représentant légitime du peuple palestinien ». Après les accords d’Oslo de 1993, censés inaugurer une paix durable, l’OLP a été progressivement marginalisée, l’Autorité palestinienne vidée de sa substance, et la colonisation s’est accélérée. En 1993, on comptait environ 110 000 colons israéliens en Cisjordanie ; en 2023, ils sont plus de 700 000, installés en violation du droit international.
Le Hamas n’est pas né d’un choix libre mais d’un vide. Il s’est imposé à Gaza dans le contexte d’un blocus imposé depuis 2007, avec l’approbation tacite ou active de la communauté internationale. Blocus terrestre, maritime et aérien, dans lequel vivent deux millions de personnes privées de liberté de circulation, d’accès régulier à l’eau, à l’électricité, aux soins. En 2022, 80 % de la population de Gaza dépendait de l’aide humanitaire pour survivre (source : ONU).
S’en tenir au Hamas, comme si l’ensemble du peuple palestinien n’était qu’une menace terroriste, c’est commettre une nouvelle violence. Une violence du langage. Une occultation politique.
Et nous, en France, en Europe, aux États-Unis, nous avons participé (et même organisé la base de cette longue agonie) Par nos silences, nos armes vendues, par notre refus de nommer l’occupation, de sanctionner la colonisation, de qualifier le régime israélien d’apartheid, alors même que des organisations comme B’Tselem, Human Rights Watch ou Amnesty International l’ont fait depuis 2021.
Aujourd’hui, Gaza est un champ de ruines. Plus de 35 000 morts, dont plus de 14 000 enfants (source : ministère de la Santé de Gaza, chiffres régulièrement recoupés par les agences de l’ONU), plus de 70 % des infrastructures détruites, des hôpitaux visés, des camps de réfugiés bombardés. Et on continue à parler de riposte ,de guerre juste ,de terrorisme ,en oubliant l’histoire longue qui rend possible, et même acceptable un tel écrasement.
Mais ce n’est pas une guerre. C’est une destruction. Un démantèlement systématique d’un peuple à qui l’on refuse toute dignité, tout avenir, toute voix.
Ce n’est pas une guerre. C’est la suite logique d’un siècle où l’on a préféré l’ordre à la justice, la stabilité à la vérité, l’oubli à la mémoire. Un siècle à fabriquer le massacre.