Il y avait pourtant un moyen simple de l’arrêter : ne pas le laisser exercer. Mais l’hôpital, la médecine, les institutions ont couvert. Muté, déplacé, promu. À chaque alerte, un silence. À chaque plainte, un doute sur la parole des victimes. À chaque fois, l’honneur du médecin a primé sur la protection des enfants.
Et sa famille savait. Elle savait dès les premiers faits. Elle savait pour les viols commis sur des proches_ parce qu'il a agit partout tout le temps_Elle savait, et elle s’est tue. C’est une honte déplacée, un mécanisme bien connu : mieux vaut protéger l’agresseur qu’admettre l’horreur. Parce que c’est un père, un frère, un mari. Parce que la vérité ferait trop mal. Alors on sacrifie les enfants. On les sacrifie pour que la famille reste entière.
Ce n’est pas un cas isolé. Ce n’est pas un dysfonctionnement. C’est une structure. Une structure d’aveuglement, de peur, de pouvoir. Un homme seul ne viole pas des centaines d’enfants sans complicités, sans protections, sans la force tranquille de l’institution derrière lui.
Et aujourd’hui, même jugé une deuxième fois, Le Scouarnec n’est pas reconnu dangereux à vie. La rétention de sûreté n’a pas été retenue. Malgré l’ampleur des crimes. Malgré l’absence totale de regret. Malgré ce qu’il continue surement d’écrire dans ses carnets. Ce n’est pas un homme accablé par la honte. C’est un homme qui se raconte, s’intellectualise, s’organise. Il ne demande pas pardon. Il contrôle encore le récit.
Et s’il sort, même vieux, que fera-t-il ? Peut-être ne pourra-t-il plus agir physiquement, mais il restera un homme dangereux. La pédocriminalité n’est pas seulement une action directe. C’est aussi un réseau, une logique, un système. Et cet homme-là en connaît les rouages. Il pourrait très bien, plus tard, participer à l’horreur numérique, aux partages, à l’organisation des violences en ligne.
On ne peut pas faire comme si tout cela ne concernait qu’un seul homme.
L’impuni, c’est la chronique d’une violence organisée et permise par la société. C’est le portrait d’un pays qui préfère fermer les yeux pour ne pas avoir à se juger lui-même.
Et c’est à nous désormais de dire que cela suffit.
Pas seulement pour protéger les enfants.
Mais pour détruire ce qui rend possible leur mise à disposition.
L'Impuni: Histoire d'un déni collectif de Marika Mathieu (Studiofact éditions, 2025)