Cette semaine, le MEDEF a formulé une proposition aussi révélatrice que problématique : proposer une prise en charge à 100 % des vaccins contre la grippe pour les salariés, en échange d’un meilleur remboursement des arrêts maladie. L’idée est simple, presque séduisante : éviter les arrêts liés à des pathologies « bénignes » comme la grippe saisonnière grâce à la prévention vaccinale, et en contrepartie, alléger le fardeau économique des arrêts maladie pour les entreprises.
Mais derrière cette proposition pseudo-pragmatique se cache une forme de déni collectif. Car le véritable sujet des arrêts maladie aujourd’hui en France, ce ne sont pas les coups de froid hivernaux. C’est l’épuisement, l’angoisse, la perte de sens, le harcèlement, le stress chronique. Bref, ce sont les arrêts liés à la santé mentale.
Des chiffres qui ne mentent pas
Selon l’Assurance maladie, les troubles psychiques (dépression, burn-out, anxiété, etc.) sont aujourd’hui la première cause d’arrêts maladie de longue durée. Et ce chiffre est en constante augmentation. Les arrêts pour grippe ? Marginalisés dans les statistiques, courts et peu coûteux.
En 2023, un salarié sur deux disait souffrir de stress important au travail. Le nombre de burn-outs a explosé. Le suicide au travail reste un tabou, mais les signaux faibles, eux, ne trompent plus. Le mal-être professionnel est devenu endémique.
Alors proposer un vaccin contre la grippe comme remède au "problème" des arrêts maladie, c’est comme offrir un pansement à une personne en hémorragie interne. Ce n’est pas seulement inefficace, c’est indécent.
Le vrai virus, c’est l’organisation du travail
Ce que cette proposition révèle, c’est une volonté de rester à la surface des choses. Plutôt que de questionner les causes structurelles du mal-être au travail — surcharge, précarisation, pression hiérarchique, manque de reconnaissance, déshumanisation des tâches —, on préfère détourner l’attention avec des solutions médicales à des problèmes sociaux.
En filigrane, c’est aussi une manière d’insinuer que les arrêts maladie seraient un luxe, voire un abus, que l’on pourrait réduire par un petit effort de prévention. Or c’est tout le contraire : les salariés craquent parce que le système craque. Le vrai virus, ce n’est pas la grippe : c’est la violence ordinaire du monde du travail contemporain.
Une hypocrisie sanitaire ?
On vaccine contre la grippe mais on laisse les salariés sombrer dans l’angoisse. On rembourse les jours d’arrêt si, et seulement si, on a montré patte blanche. Comme si la santé devenait un contrat de performance. Ce n’est pas une politique de santé publique : c’est de la conditionnalité hygiéniste, une manière d’enfermer les corps et les esprits dans un devoir de rentabilité.
Mais une société qui refuse de reconnaître la souffrance psychique de ses travailleurs, c’est une société qui se tire une balle dans le pied. On ne soigne pas le burn-out avec du Doliprane. On ne guérit pas la dépression avec un bon rhume évité.
Pour une santé mentale pleinement reconnue
La vraie urgence aujourd’hui, c’est de mettre les moyens dans la prévention des risques psychosociaux, dans la reconnaissance des troubles mentaux au travail, dans la construction de milieux professionnels respectueux de la santé globale des salariés.
Cela suppose de repenser le management, le sens du travail, les rythmes, les attentes, les conditions de dialogue dans les entreprises. Et cela exige de sortir d’une vision culpabilisante de l’arrêt maladie. Non, un arrêt n’est pas un caprice. C’est souvent un acte de survie.
Conclusion : La santé ne s’échange pas
À vouloir faire des arrêts maladie une monnaie d’échange, le MEDEF révèle sa vision utilitariste du salarié : un corps productif qu’on entretient juste assez pour qu’il tienne. Mais un travailleur est plus qu’un rouage. Il est un être humain. Et sa santé, mentale comme physique, ne peut pas faire l’objet d’un troc cynique entre piqûre et remboursement.
Ce qu’il nous faut, ce n’est pas un vaccin contre la grippe. C’est un vaccin contre le mépris de la souffrance psychique. Et celui-là, il est encore en développement.