Non, ce n’est pas une provocation gratuite. Ce titre, aussi déroutant soit-il, ouvre une porte nécessaire vers un débat plus vaste : celui de la construction sociale de nos identités sexuelles et de la manière dont nous avons été conditionné·es à y croire comme à des vérités biologiques immuables. Quand on affirme que « l’hétérosexualité n’existe pas », on remet en question non pas l’attirance entre personnes de sexes opposés, mais la rigidité, la normalisation et l’hégémonie d’une orientation sexuelle présentée comme naturelle, universelle et exclusive.
L’hétérosexualité : une invention récente ?
Historiquement, le terme "hétérosexualité" n’a été popularisé qu’à la fin du XIXe siècle, en même temps que celui d’"homosexualité". Avant cela, les pratiques sexuelles n’étaient pas nécessairement liées à une identité. Ce que nous appelons aujourd’hui "orientation sexuelle" était beaucoup plus fluide, contextuelle, souvent invisible dans les discours publics.
Ce sont les normes morales, médicales et religieuses qui ont figé ces catégories : être hétéro, homo, bi, etc. Mais ces catégories ne décrivent pas simplement des attirances – elles fabriquent des identités, et donc des systèmes de pouvoir.
Une norme déguisée en évidence
Dire que l’hétérosexualité "n’existe pas", c’est aussi pointer le fait qu’elle est surtout une norme, pas une réalité pure. Elle est imposée dès l’enfance : dans les dessins animés, les contes de fées, la publicité, l’école… Le "garçon qui aime les filles" est considéré comme la seule voie naturelle, tout le reste étant vu comme une "variation", une "exception", voire une "déviance".
Mais cette normalisation efface la complexité de l’expérience humaine. Qui n’a jamais eu un désir, un rêve, une curiosité hors du cadre hétéro ? Et pourquoi ces pensées sont-elles systématiquement refoulées, moquées ou niées ?
Des désirs plus flous que les étiquettes
Prenons l’exemple des hommes qui ont des relations sexuelles avec d’autres hommes tout en se considérant hétéros. Ce n’est pas marginal. Dans plusieurs études (dont celles de Kinsey dans les années 40-50), une proportion importante d’hommes et de femmes ont eu des expériences homosexuelles sans pour autant se définir comme tels. Que fait-on de ces zones grises ? Les efface-t-on ? Les ignore-t-on pour préserver la fiction rassurante d’une "hétérosexualité pure" ?
Même dans les couples dits "hétérosexuels", le désir dépasse parfois les genres. Une femme peut aimer son partenaire masculin mais être attirée par une autre femme. Un homme peut être ému, troublé, par un ami. Ces réalités ne rentrent pas dans la case "hétéro" au sens strict – et pourtant, elles existent. Elles sont même courantes.
Conclusion : ouvrir les yeux, pas les cases
Ce billet ne cherche pas à nier les relations entre hommes et femmes. Il ne s’agit pas de dire que personne n’aime sincèrement quelqu’un du sexe opposé. Il s’agit plutôt de questionner une étiquette si rigide qu’elle rend invisibles les nuances, les flottements, les vérités intérieures.
L’hétérosexualité, telle qu’on nous l’impose, est un idéal normatif, pas un fait biologique. Elle est une fiction collective dans laquelle nous jouons tous un rôle plus ou moins conscient. La bonne nouvelle, c’est qu’on peut commencer à réécrire le scénario.