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Billet de blog 19 juillet 2025

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Cas de conscience chez les agriculteurs

Le scandale est connu. Les rapports s’accumulent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Intoxiqués en silence : quand l'agriculture empoisonne ses voisins

Par Nicolas,

J’ai grandi à la campagne, pas bien loin d’un champ. J’aimais cette idée romantique d’une nature généreuse, de terres fertiles nourries par le savoir-faire des paysans. Mais la réalité m’a sauté au nez – littéralement. Le fermier d’à côté ne cultivait pas la terre, il la pulvérisait.

J’ai arrêté de compter à 30. Trente passages de pulvérisateur en une saison, parfois à l’aube, souvent sans prévenir. Trente occasions d’inhaler un cocktail chimique dont je ne connais pas la composition exacte, mais dont je sais qu’il n’est pas inoffensif. Et je ne suis pas un cas isolé : partout en France, des milliers de riverains vivent sous le nuage toxique de l’agriculture dite « conventionnelle ».

Aujourd’hui, ma fille a 19 ans. Elle souffre de troubles de la thyroïde. Aucun antécédent familial. Aucun facteur de risque identifié. Sauf peut-être ces années passées à respirer l’air vicié d’un champ voisin transformé en laboratoire à ciel ouvert. Et même si aucun médecin n’ose faire le lien direct, moi, je vis avec ce doute, cette rage sourde, cette certitude intime que quelque chose ne tourne pas rond.

Une bombe chimique légale

Les pesticides sont partout. Herbicides, fongicides, insecticides : ils sont censés protéger les cultures, mais ils empoisonnent tout le reste. Air, eau, sols, insectes pollinisateurs, biodiversité… et êtres humains. En 2022, plus de 62 000 tonnes de pesticides ont été vendues en France, malgré les plans « Écophyto » censés réduire leur usage. Résultat ? Une dépendance toujours plus forte, un cercle vicieux où chaque parasite résistant appelle un poison plus puissant.

Le scandale est connu. Les rapports s’accumulent. L’Inserm, l’Anses, des ONG comme Générations Futures tirent la sonnette d’alarme : exposition aux pesticides rime avec cancers, troubles neurologiques, maladies endocriniennes. Et parmi ces maladies, justement : les dérèglements thyroïdiens. Chez les agriculteurs, mais aussi chez les voisins, les enfants, les promeneurs.

Complices par inaction

Et pourtant, tout continue. L’État distribue les subventions de la PAC à coups de milliards sans condition écologique sérieuse. Les coopératives vendent les pesticides tout en conseillant leur usage. Les préfets autorisent les traitements à quelques mètres des habitations, parfois sans zones de non-traitement (ZNT) dignes de ce nom.

Et les riverains ? On les traite d’anti-agriculteurs s’ils osent se plaindre. On leur dit de se taire, de fermer leurs fenêtres, de déménager s’ils ne sont pas contents. Comme si la terre appartenait aux seuls tracteurs, pas aux vivants qui respirent autour.

L’agriculture de la peur

Je ne blâme pas tous les agriculteurs. Beaucoup subissent un système qui les écrase. Pris à la gorge par les dettes, dépendants des intrants, coincés dans des logiques productivistes dictées par la grande distribution. Mais une question demeure : jusqu’où va l’acceptabilité de l’empoisonnement collectif ?

Il est temps de dire non. Non à une agriculture qui tue le vivant pour nourrir les profits. Non à la résignation face à des pratiques indéfendables. Oui à une transition agroécologique ambitieuse, soutenue, urgente. Oui à la protection des riverains, des enfants, de ceux qui n’ont pas choisi de respirer du poison.

Je n’ai pas signé pour ça. Vous non plus. Et ma fille non plus.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.