Moryotis (avatar)

Moryotis

Consultant CCOMS

Abonné·e de Mediapart

53 Billets

0 Édition

Billet de blog 19 juillet 2025

Moryotis (avatar)

Moryotis

Consultant CCOMS

Abonné·e de Mediapart

Et si la foi naissait d’un délire psychotique ?

foi et folie, miroir de notre humanité

Moryotis (avatar)

Moryotis

Consultant CCOMS

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

« Je me suis senti appelé par Dieu, j’ai vu la lumière, entendu sa voix. »
Une phrase que l’on retrouve dans bien des récits de vocation religieuse. Mais si cette expérience n’était pas d’ordre spirituel, mais psychotique ? Où finit la foi, et où commence la pathologie ?

Foi et délire : une frontière poreuse ?

Depuis toujours, les récits religieux sont empreints de visions, de voix, de révélations : Moïse qui entend Dieu dans un buisson ardent, Paul foudroyé sur le chemin de Damas, Jeanne d’Arc guidée par des voix célestes. Autant de témoignages qui, lus aujourd’hui sous l’œil de la psychiatrie moderne, pourraient faire penser à des épisodes psychotiques aigus : hallucinations auditives ou visuelles, certitude délirante, sentiment de mission…

Alors, faut-il en conclure que ceux qui s’engagent dans la foi — et plus particulièrement dans le sacerdoce — sont des personnes ayant connu un épisode psychotique ? Ce serait une hypothèse réductrice, mais elle mérite qu’on s’y arrête.

Quand la vocation surgit d’une expérience limite

Nombreux sont les prêtres ou religieux qui témoignent avoir eu une « révélation », un moment de bascule radicale dans leur vie. Or, ce type d’expérience a des similitudes cliniques troublantes avec les états psychotiques : une perception différente du réel, une rupture avec le monde commun, une conviction absolue, parfois une exaltation mystique.

Certains psychiatres — comme Pierre Marie, Henri Ey, ou plus récemment Roland Gori — ont interrogé ces zones frontières entre mystique et pathologie. La mystique serait-elle une forme socialement acceptée du délire ? Ou à l’inverse, le délire serait-il un échec de la tentative spirituelle ?

La psychose comme passage, pas comme origine

Il ne s’agit pas ici de réduire la foi à une pathologie. Mais d’envisager que, dans certains cas, une expérience psychotique peut être fondatrice — non pas comme maladie, mais comme « rupture de sens » radicale. Des auteurs comme Jean Oury ou Félix Guattari ont défendu l’idée que la psychose pouvait révéler des dimensions poétiques, métaphysiques, existentielles.

Ainsi, un prêtre peut très bien avoir traversé un épisode psychotique — et en être sorti grandi, transformé, réorganisé autour d’une foi. Ce qui importe, ce n’est pas tant l’origine psychologique ou neurologique de la croyance, mais ce que l’individu en fait : comment il donne forme, langage et sens à ce qui lui est arrivé.

Entre foi vécue et foi pathologisée : le regard de la société

Aujourd’hui, la société a tendance à pathologiser ce qui sort de la norme. Dire qu’un prêtre est « fou » parce qu’il croit à une présence divine peut être une manière de refuser l’altérité de son expérience. Mais à l’inverse, sanctifier toutes les expériences religieuses sous prétexte qu’elles sont sacrées, c’est parfois passer à côté de souffrances ou de troubles réels.

Ce qui est en jeu ici, c’est le regard que nous portons collectivement sur les expériences limites, qu’elles soient religieuses, artistiques ou psychotiques. La foi peut être une issue, une reconstruction, un refuge, voire une sublimation de la folie. Et parfois, elle peut aussi être une illusion qui masque un mal-être profond.

Conclusion : foi et folie, miroir de notre humanité

L’idée que « le prêtre croit parce qu’il a eu un délire » est une provocation utile, mais insuffisante. Elle nous pousse à interroger ce que nous appelons « croire », « délirer », « être appelé ». Au lieu de chercher à tout prix à séparer le mystique du pathologique, pourquoi ne pas penser ces deux dimensions comme des modes différents — mais parfois convergents — de rapport à l’absolu ?

Ce questionnement est moins une attaque contre la foi qu’une invitation à penser le mystère de l’engagement religieux dans toute sa complexité — psychique, sociale, existentielle.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.