Moryotis (avatar)

Moryotis

Consultant CCOMS

Abonné·e de Mediapart

53 Billets

0 Édition

Billet de blog 23 juillet 2025

Moryotis (avatar)

Moryotis

Consultant CCOMS

Abonné·e de Mediapart

Ils s’appelaient Mohamed, Luis, ou encore José.

Leurs décès n’ont jamais fait les grands titres.

Moryotis (avatar)

Moryotis

Consultant CCOMS

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1

Ils s’appelaient Mohamed, Luis, ou encore José. Ils vivaient avec des troubles psychiatriques, souvent diagnostiqués schizophrènes, parfois désocialisés, parfois oubliés. Tous sont morts au contact de la police. Leurs décès n’ont jamais fait les grands titres. Pourtant, ils disent beaucoup du naufrage français face aux urgences psychiatriques et à l’usage disproportionné de la force.


Une liste trop longue… et trop silencieuse

2020 — Mohamed Gabsi, Béziers

Le 8 avril 2020, en plein confinement, Mohamed Gabsi, 33 ans, est interpellé à Béziers alors qu’il déambule dehors en pleine crise. L’intervention tourne à l’interpellation brutale : trois policiers municipaux le plaquent au sol, l’un d’eux s’assoit sur son dos dans le fourgon. Mohamed meurt quelques minutes plus tard. L’autopsie conclut à une asphyxie mécanique.
Mohamed souffrait de troubles psychiatriques connus. Malgré cela, aucun professionnel de santé n’était présent durant l’interpellation. Trois policiers sont aujourd’hui mis en examen.

« Il criait qu’il ne pouvait plus respirer, et ils l’ont maintenu comme un colis. »


2017 — Luis Bico, Châlette-sur-Loing

Le 3 août 2017, Luis Bico, 48 ans, est abattu de plusieurs balles par des policiers alors qu’il tente de fuir en voiture. Diagnostiqué schizophrène, suivi de manière irrégulière, Luis avait quitté son domicile sans prévenir, visiblement en crise. Il est intercepté, mais l’intervention dégénère.
La famille, toujours en procédure, a saisi la Cour européenne des droits de l’homme, dénonçant une application abusive de la loi sur la légitime défense (loi Cazeneuve).
Aucune reconstitution publique n’a eu lieu.

« Son seul tort était d’être malade et de ne pas comprendre les ordres. »


2024 — Montfermeil : 10 tirs de Taser sur un homme en crise

En janvier 2024, à Montfermeil, un homme souffrant d’un trouble psychotique depuis plusieurs jours est confronté à la police après un signalement. Il aurait été tasé dix fois. L’homme s’effondre, hospitalisé en état critique.
Il n’a jamais été accusé de violence. Aucune vidéo de l’intervention n’a été rendue publique. Les autorités refusent de qualifier la situation d’interpellation abusive.

« Ce n’est ni la police ni la psychiatrie, c’est une zone grise où l’État ne répond plus. »


2024 — Bordeaux : mort d’un patient en fugue psychiatrique

Le 9 août 2024, à Bordeaux, un homme de 44 ans, en fugue d’un hôpital psychiatrique, est abattu par la police. Il aurait volé un couteau dans une supérette, puis marché vers les policiers. Ces derniers affirment avoir tiré en état de légitime défense.
Selon des témoins, l’homme semblait désorienté, sans volonté réelle d’attaquer. Le parquet a ouvert deux enquêtes, mais l’événement n’a pas fait l’objet de couverture nationale.

Encore une fois, aucun psychiatre n’était mobilisé. L'urgence fut uniquement policière.


2024 — Semide (Ardennes) : une fourche contre un pistolet

Le 14 août 2024, dans le petit village de Semide, José B., 43 ans, souffrant de schizophrénie non stabilisée, menace les gendarmes avec une fourche. Ils tentent d’utiliser le Taser, sans effet. Un gendarme ouvre alors le feu. José meurt sur place.
Deux enquêtes ont été ouvertes : l'une sur son comportement, l'autre sur l’usage de l’arme. Mais comme souvent, le dossier se referme dans un silence administratif.

Une vie humaine résumée à quelques lignes : « l’homme était menaçant. »


Des morts évitables, des protocoles inexistants

Ces affaires, et d’autres probablement inconnues du grand public, révèlent des lacunes systémiques :

  • L’absence d’intervention conjointe police / psychiatres en situation de crise

  • Des policiers mal formés à la désescalade face à la maladie mentale

  • Des hôpitaux psychiatriques à bout de souffle, qui ne peuvent plus suivre ni protéger

  • Une opacité judiciaire sur les décès consécutifs à des interventions policières


Une exception française ?

Dans d’autres pays, des modèles existent : aux États-Unis, "certaines villes" ont développé des brigades spécialisées pour les appels psychiatriques. En Norvège ou au Canada, les protocoles imposent la présence d'un professionnel de santé pour toute intervention sur personne en crise mentale.

En France, malgré des drames répétés, rien n’a été systématisé. Et dans une société qui stigmatise encore largement la maladie mentale, les morts de ces personnes restent invisibles.


Témoignages, familles, mobilisation

Des collectifs existent, comme Vérité pour Adama ou Urgences psychiatrie citoyenne, mais rares sont ceux qui relaient la parole des proches de schizophrènes décédés. Honte, isolement, peur du rejet... ces familles sont souvent seules face à une machine étatique sourde.


Pour conclure : donner des noms, raconter les vies

Derrière les rapports d’enquête et les tirs « en légitime défense », il y a des vies. Des personnes souffrant, mais aimées, accompagnées, parfois oubliées.
Leur mort ne devrait jamais être une simple note de bas de page dans un rapport administratif.

Il est temps que Mediapart, la presse indépendante, les citoyen·nes engagés, les professionnel·les de santé et les avocat·es fassent émerger cette autre carte de France : celle des morts en silence.


 Si vous êtes témoin, proche ou professionnel confronté à ces drames, vous pouvez me contacter en privé pour témoigner anonymement.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.