Fruit d’une volonté systémique réduisant les hommes à être les sujets frustrés de tous leurs désirs ; des adolescents, des hommes déclassés réécrivent leurs existences en s’enrôlant dans l’armée salvatrice, promesse du paradis aux N vierges.
Emasculés par une société les reléguant au statut des enfants bâtards cachés dans la nouvelle masse prolétaire mondialisée et pacifiée, ils n’acceptent plus la double issue inéluctable : partager les miettes du capital organisant rigoureusement leur paupérisation ou, être les ouvriers de l’argent facile enfermant entre quatre murs avec à la clef la déchéance complète des droits relatifs à la citoyenneté. Le ciel au croissant de lune, vendu comme seule explication de cette finitude si mal apprivoisée, est comme un dernier recours pour enfin embrasser leurs libertés respectives.
Le temps de la société assimilatrice effaçant les stigmates de la culture de leurs parents émigrés est, aujourd’hui, enfoui dans le béton armé de l’architecture réservée aux petites conditions. Loin du vin et des nuits d’ivresse de la capitale lumière, ils retournent sur le continent quitté par leurs parents pour rétablir la foi et le livre avec quelques mots en arabe légitimant leur imposture.
Le fameux “Teacher do not teach me the nonsense”! de Fela Kuti nous donne à penser que si la situation est digne de l’absurde des films de Luis Bunuel, elle n’est certainement pas africaine.
Alors, qui sont ces hommes qui, arborant fièrement l’AK47, virilité achetée comme l’on vent son âme au diable, taillent, à coup de rafale, la broussaille du mont de venus de ces dunes inaccessibles à l’image de la femme de ce pasteur nomade.
La promesse du désir dans le regard de l’autre ne sera, à jamais, qu’un mirage, celui de leurs représentations pornographiques de la société de consommation quittée pour mieux la servir ou pour y être reconnus comme dans une émission de téléréalité.
L’hyper-puissance ainsi acquise s’incarne dans la violence extrême, extrémiste et se voile d’un mensonge armure du chevalier noir.
Musique, sport, danse, art, autrement dit toutes les voies professionnelles de la société du spectacle procurant célébrité, notoriété et les à-côtés de l’expression de la puissance sont les fantômes chassés chez l’autre comme négation de soi et de ce monde qui n’a jamais voulu ouvrir ses portes.
Comme pour mieux tester leur orthodoxie naissante ; les maîtres fantomatiques de ce qui s’apparente à une nouvelle révolution fasciste mondialisée, les envoient au front du Sud, terre des ancêtres aspirés par l’appel du Capital du Nord pariant sur la misère comme levier de ses intérêts économiques et de la protection de son hégémonie.
Le champ de bataille est désertique. La vie s’y affuble du préfixe sur et s’y organise autour de la solidarité citoyenne pour ne pas dire religieuse.
L’armée d’hérétiques combattus ?
Des paysans, des pauvres, survivant au rythme de la clémence du soleil, fuyant l’avancé du sable, priant le ciel de les aider à résoudre pacifiquement leurs petites querelles qui, parfois, tournent au tragique.
Sauront-ils mener à bien la mission inquisitrice?
Celle de la barbarie toujours légitimée par un texte sacralisé, imposée par une hiérarchie trop compromise pour faire machine arrière et qui fera inéluctablement de ces hommes, quand le temps des comptes pointera le bout de son nez, des bourreaux confus vêtissant l’humilité de leurs victimes.
Coiffés d’un irrespect frondeur, en petites sections comme une armée occupante, leurs mots, leurs invectives, leurs violences aveuglément croissantes, investissent tous les lieux de la ville et de ses alentours.
D’humiliations en humiliations, les survivants se verront tester dans leur propre foi par ces inquisiteurs définissant les nouveaux contours d’un dogme pourtant apprivoisé dès les premières heures de leurs arrivées respectives dans ce monde.
La résistance, recours choisi par cette communauté n’a d’égal que l’humilité transmise depuis des siècles par l’interprétation de leurs ancêtres du Coran permettant de se courber comme la dune devant la hauteur du soleil. Pour ces croyants, la vérité est déjà écrite et n’est jamais celle de ces simples mortels se faisant la voix d’Allah, pour se créer le chemin de leurs vanités.
Dans ce film les femmes et les enfants incarnent cette lutte en plus d’être les victimes de la lâcheté des ces hommes troquant leurs humanités contre une sauvagerie sans égale qui trouve son point d’orgue dans cette lapidation arrivant aux deux tiers de la narration et ne durant que quelques fractions de secondes. Un véritable cliché photographique exhortant ainsi les spectateurs par la rupture à ne pas oublier comme nous oublions les drames mondiaux au rythme du commerce de l’actualité. L’image hante notre conscience sans que le temps d’exposition qui semble durer une éternité ne puisse surexposer le sujet martyr.
Bien que désertique la lumière magnifique de ce film porte aussi l’espoir d’une population malienne ouverte à l’universalisme de ce monde qu’elle voudrait sans frontières. Parlant les langues du monde entier, ils semblent tous attendre l’inéluctable pour survivre, le temps de l’exode pour embrasser le monde du progrès.
Les plans de ces enfants perdus dans une immensité désertique de plus en plus étroite pour leur vie sans « GPS » et sans famille. Bord cadre, à l’étroit dans leur petit monde bouleversé ; ils avancent pensant peut être déjà à l’exil vers cet occident fantasmé qui nous l’espérons vivement ne leurs réserve pas le même sort que les bourreaux dont ils ont croisés le chemin.
Abderrahmane Sissako signe comme à son habitude un film d’une intelligence philosophique certaine, et s’arme d’une poésie aux adjectifs, images subsahariennes, pour ne jamais rentrer dans la vulgarité. En désignant les bourreaux fondamentalistes, il n’oublie pas, à la manière des philosophes déistes du siècle des lumières, de dénoncer les enjeux cyniques de l’émergence de ce type de fondamentalisme.
En d’autres temps, le Vatican prétexta la profanation du Saint Sépulcre et trouva dans une petite noblesse avide de pouvoir des combattants de la première croisade qui permettra à l’Eglise de rentrer dans le pouvoir féodal.
Alors, une question subsiste ; qui soutient financièrement ces désœuvrés djihadistes pour avoir un matériel de guerre occidental et pour envahir les terres d’une religion sans clergé pacifiée depuis des siècles ?
Au regard du film, la seule chose que nous pouvons affirmer est qu’ils sont eux même des occidentaux même si non reconnus comme tel chez eux. Alors, qui instrumentalise leurs frustrations respectives pour qu’ils puissent croire que leur salut se trouve dans le malheur de ces innocents ?
Sans réponse, nous sommes, malgré tout, convaincus que pour éviter que d’autres jeunes choisissent le chemin de l’instrumentalisation du chaos, le vivre ensemble dans l’égalité est le seul moyen.
meh