Dans Le sel de la terre le photographe Sebastiano Salgado s’indigne du sort des réfugiés rwandais précipités dans une double exode assassine scénarisée par le cynisme impérialiste autorisé.
L’information de masse, cet or virtuel brillant la lumière terne du débat portant un pourquoi abscons, nous rappelle à la férocité du mépris du puissant à l’égard des précaires.
Les génocides se succèdent et donnent, à ceux qui en initient les processus ravageurs, l’expérience du bon travail légitimant l’arrogance de leur impunité.
Pour mieux être divisés avant la catharsis absurde du bain de sang, les hommes de la masse servile sont d’abord fédérés par des outils de construction identitaire incubés au rythme lancinant d’une culture bornée à ses frontières subjectives et légitimées par les narrations chimériques du temps des ancêtres s’interdisant l’universalisme sans que l’évidente bipédie de l’altérité douée d’un langage réinventant ses plumes n’empêche de se brûler les ailes.
Si ce schéma enraciné dans le temps apaise les passions illégitimes de la foule quand la colère se nourrit de la faim, il la ramène toujours à l’étage de son existence définit par les maîtres organisés au-delà des frontières et de leurs clivages séculaires autour de leur domination totale d’un monde sans partage.
Difficile à duper, ma conscience me renvoie tous les jours à ma honte. Dans cette société de plus en plus hostile, dois-je m’emmurer dans le silence de ma peur ne se contentant plus de m’attendre sur le perron de mes réflexions?
La bave mortifère des milices armées cautionnée par le jeu dangereux des politiques démissionnaires déferle sur les êtres destin incertain qui n’en finissent pas de fuir, de marcher en revendiquant timidement un espoir effrayé.
Les larmes perlent et diluent le sang des pieds fuyant le sang de la guerre. De-ci de-là, les familles inhument les corps des proches dans les prières. Même la terre refuse l’asile à la poussière. Après le passage du tigre, les os témoigneront peut être de notre malheur.
Marchons groupés compagnons d’infortunes !
Marchons, marchons ! Ne prêtez pas attention à la rumeur, derrière nous l’Enfer.
Les consciences embrumées retrouveront l’éclat de l’hospitalité !
- Tu vois ; des hommes comme toi et moi. Pourquoi les chasser ?
- Ta soupe, je te le dis c’est ta soupe qu’ils veulent ! Tu ne comprends pas. Ses barbares violeront nos femmes et pilleront nos foyers. La patrie a besoin de toi. Alors qu’attends-tu pour nous rejoindre? Tu viens !
- Je ne saurais pas faire !
- Tu verras, ce n’est pas sorcier. Allez viens !
- Mais… je suis…maman !
Mon cri rebondit au plafond et transperce la frayeur de mes yeux. Mes draps absorbent l’acidité de ma sueur. Les parcelles froides s’y font rares. De contorsion en contorsion, je lute contre le sommeil. Je suis la sentinelle de mon désarroi. Fuyant le cauchemar du kapo, ma pensée s’invite dans mon quotidien et y fait les cent pas.
Belle, oui objectivement belle. Elle était magnifique. « Sale arabe », oui, j’étais le « sale » arabe sur les lèvres rouges de cette femme. Pourquoi ai-je encore envie du temps où elle aurait pu me regarder et m’offrir son désir sur l’échiquier de la séduction.
Un milan persifleur s’était installé près d’elle. Son bec véhément réinventait mon histoire. La fierté de ses serres enlaça sa proie déjà conquise. Ils s’étonnèrent de mes manières à table. Leurs rires sont moqueurs. Pourquoi parlait-elle de tête de chameau.
Un sort ?
Quel sort ?
Nous subissons un sortilège !
Mais pourquoi nous ?
Une métamorphose maléfique nous menace alors ?
Fini le plaisir des terrasses et du vin!
Où sont les caches !
Comment reconnaître les justes ?
Les murs de la ville m’accompagnèrent sur le retour. Je me suis précipité dans la salle de bain sans fermer la porte. Froid et lisse, le miroir m’attendait. Un filet d’eau sur la tête. « L’eau est vie », pensée diluée.
Un à un, j’ouvre mes yeux. Je n’ai pas vu de chameau.
La porte claque. Mon sang ne fait qu’un tour. Sont-ils déjà là ? Je fais en silence le tour de l’appartement, un deux pièces. Personne ne m’a suivi. Je transmets mon angoisse aux cloisons de mon domicile. Combien de temps seront-elles un refuge ?
Ils marchent.
Ils meurent.
La bulle de champagne explose en une mousse à la blancheur de l’indifférence fasciste. Les élus festoient. Salo est en liesse.
Et moi, je suis là, lamentablement passif, attendant lâchement mon tour. Le réveil de ceux qui ont le pouvoir de dire non à l’horreur ne sonnera pas.
Jamais la mort n’a autant rôdé autour de moi. Ses pas, son souffle m’obsèdent, m’enferment.
Fuir ?
Marcher ?
Mais pour aller où?
Laisseront-ils la faim me vider de ma chair, me dévoiler mes os saillants et me tuer de l’intérieur?
Verrai-je les yeux de mon bourreau avant de mourir ?
Mère où que tu sois, sache que ton fils a la trouille au ventre. Le cynisme de ces hommes n’est plus à prouver.
Aurai-je le courage de renier mon pacifisme ?
Non, non et non!
Impossible de refuser ma condition d’être humain.
Oui, je resterai un homme.
Je suis un homme.
Meh.