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Billet de blog 25 novembre 2025

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Validisme et conférence scientifique

J’avais envie de croire que la recherche scientifique était un espace accueillant et bienveillant pour tou·te·s, même les personnes handicapées (comme moi).

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Illustration 1
Deux façons d’accéder à la salle des posters pour exposer son travail (la première est réservée aux personnes en fauteuils roulants)

En octobre, je suis allé à une conférence scientifique, comme je l’ai déjà fait de nombreuses fois par le passé. J’ai naïvement pensé pouvoir y présenter mes travaux comme je le faisais à l’époque où j’étais valide. J’avais envie de croire que la recherche scientifique était un espace accueillant et bienveillant pour tou·te·s, même les personnes handicapées (comme moi). On m’a même proposé de co‑organiser un atelier de discussion. Avant le voyage, j’ai dû consacrer mon énergie limitée à vérifier si tout serait accessible pour une personne en fauteuil roulant. Quand j’ai demandé aux autres co‑organisateurs de l’atelier si celui‑ci était situé dans un bâtiment accessible, on m’a répondu : « Excellente question ! » – ce n’était pas vraiment la réponse que j’attendais.

Heureusement, le lieu était accessible. Il y avait un ascenseur (qui n’était même pas un ascenseur de service) , même si les portes d’accès aux salles étaient difficiles à ouvrir pour moi. Je pouvais assister et participer aux différents ateliers. De plus, il y avait des toilettes aménagées ; même si elles étaient fermées à clé par défaut. Il fallait demander la clé à l’accueil… Le minimum avait été atteint. Cela m’a rappelé le film Crip Camp et la militante anti‑validiste qui, au bord des larmes (traduction approximative), disait : « Je ne veux pas être reconnaissante parce qu’on m’a donné le droit d’aller aux toilettes. » Malgré ce vernis d’accessibilité, on voyait se dessiner une première entaille entre deux catégories de chercheur·e·s.

C’est pendant les pauses entre ces ateliers que la séparation entre les personnes valides et les personnes handicapées se faisait davantage sentir — des moments pourtant destinés aux échanges — l’organisation avait installé des mange‑debout pour poser nos boissons chaudes. Ces tables surélevées empêchaient toute forme de socialisation sérieuse pour les personnes en fauteuil roulant. C’est dans ce genre de moment que la fissure s’agrandit entre valides et handicapées.

Illustration 2
Des tables réservées à une certaine catégorie de scientifiques

Les conférences sont aussi l’occasion de présenter notre travail de façon moins confidentielle. Contrairement aux ateliers où les présentations se font devant une cinquantaine de personnes, les conférences magistrales rassemblent des audiences d’environ 500 personnes. Les marches menant à l’estrade de présentation dessinaient alors une autre brèche entre valides et handicapées. Ce choix inconscient marquant une nouvelle brisure qui aurait pu être évité : installer une rampe en pente douce vers l’estrade aurait été un choix équivalent. On a préféré installer cette matérialisation physique de la séparation entre deux catégories de chercheurs·ses. Vous pourriez me dire qu’il n’y avait personne en fauteuil parmi les intervenants. Pensez‑vous sincèrement que ces marches n’empêchent en rien cela?

Enfin, il existe une dernière façon de présenter son travail lors des conférences : on peut exposer nos découvertes debout devant un poster dans une salle trop souvent bruyante et bondée. Cela fait maintenant un certain temps que je ne peux plus parler fort, et cela fait encore plus longtemps que rester debout m’est impossible. Ces deux contraintes constituent déjà une performance physique pour les valides. Cette conférence avait le mauvais goût de rendre les choses encore plus évidentes. Pour les valides, un grand escalier conduisait à la salle des posters. Pour les personnes handicapées en fauteuil roulant, un ascenseur de service se cachait derrière un amas de câbles difficile à franchir.  Une chercheuse en fauteuil devait présenter son poster, j'aurais aimé discuter avec elle de ses recherches, malheureusement tous ces obstacles ont rendu cela impossible. En conclusion, ces sessions de posters, qui sont pourtant un axe principal de nos conférences, signalaient une fois de plus notre séparation en deux catégories de scientifiques.

Illustration 3
Le parcours semé d'embûches pour accéder à la salle des posters.

Lors d’une conférence antérieure, j’ai pourtant pu présenter un poster dans une salle de plain‑pied, montrant qu’il est possible de combler toutes ces cassures qui nous séparent. Des solutions existent : il est possible de remplacer des portes difficiles à ouvrir par des portes automatiques ; de prévoir des tables autour desquelles tout le monde peut s’asseoir ; rien ne nous empêche d’installer des rampes là où il y a des marches ; pourquoi ne pas prolonger la durée d’exposition des posters et ne pas les limiter à des créneaux précis dans des lieux spécifiques ? J’aimerais encore présenter mes découvertes, car je sais que les conférences peuvent être l’occasion de discussions et de rencontres passionnantes. Même cette expérience m’a montré que, même si la recherche n’est pas toujours un lieu accueillant pour les personnes à mobilité réduite, je continue d’aimer la science et je crois que l’on peut en faire un espace accueillant pour tou·te·s.

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