Le terme "souveraineté" effectue en toute logique un retour en force dans les discours, simplement parce qu'il est le seul qui convient à la situation. Je regrette que nous nous perdions dans les débats qu'impliquent les acceptions théorique, politique et juridique de la notion; ils occultent l'essentiel sur lequel nous devrions pourtant nous concentrer.
La souveraineté est à l’État ce que la liberté est à l'individu. Si le sujet s’impose autant à nous, c'est parce qu’après avoir vécu deux mois dans un monde où les nations se retrouvaient exceptionnellement toutes dans la même galère, nous réalisons que les États ne sont subitement plus égaux dans la pandémie: certains ont manifestement su s'organiser mieux que d'autres et ce constat nous rappelle que les corollaires de l'inégalité sont le rapport de force et le degré de dépendance. De fait, les uns cherchent désespérément des masques, les autres leur en fournissent; les uns ont cassé leur fragile système de santé, les autres leur prêtent du matériel.
Les perspectives qu'ouvrent ces inégalités sont encore plus glaçantes que le Covid lui-même, alors on se dit qu’on n’aimerait pas faire partie des pays qui sont à la traîne. Et là, badaboum! on se souvient qu’à défaut de savoir produire des gants, la France ne parvient même pas à en acheter; que nous ne serons pas un de ces pays disposant de l’arme du vaccin; que nous sommes obligés de vendre une partie du patrimoine pour financer les hôpitaux; que nos soignants confectionnent leurs protections avec des torchons et des sacs poubelle; que la cohésion sociale s’improvise en catastrophe grâce aux appels aux dons.
Cela rappelle ironiquement la situation des pays en voie de développement que nous toisions avec paternalisme il y a 30 ans. C’est précisément parce qu’on connaît le sort réservé aux pays dépossédés de leur souveraineté que le mot est aujourd’hui dans toutes les bouches.
Ni Rousseau ni l'abbé Sieyès ne sont d'une quelconque utilité pour répondre au problème; en réalité, la seule évocation des théoriciens et des politiques est un hors-sujet inquiétant. Concrètement, la question est de savoir si la France dispose des moyens suffisants pour faire face aux crises du Covid ou bien si elle dépendra à terme d'autres nations pour satisfaire ses besoins élémentaires ? Quelles sont les conditions de notre autonomie ?
En l'occurrence, ce dont nous avons besoin avant toute chose, c’est de personnel médical (pratiquants, chercheurs, pharmaciens …) et plus généralement de personnes formées aux soins, c’est de machines à coudre et de ceux qui savent s’en servir, c’est de terres (même en lopin) à cultiver, c’est de débrouillards qui pallient la sclérose de l’administration et maintiennent la communauté dans leur voisinage, c’est d’assurer une production minimale d’énergie quand ERDF et GRDF (Enedis et Engie) traverseront des difficultés cet hiver, c’est d’artisans qui maîtrisent un savoir-faire ...
Sans être spécialiste, j’ai le sentiment que nous disposons des moyens nécessaires pour nous assurer un minimum d’autonomie. Les élans spontanés de solidarité montrent également que la France peut compter sur une ressource humaine motivée et concernée. Ce qui nous manque, c’est le bon sens permettant de coordonner efficacement les moyens et les actions au présent et d’anticiper lucidement l’avenir; trivialement, c’est le boulot de base d’un gouvernement ou de n’importe quel rassemblement d’union nationale.
* La «souveraineté», nouveau mot-valise du champ politique: https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/040520/la-souverainete-nouveau-mot-valise-du-champ-politique