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Billet de blog 17 juin 2011

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De la Dignité à la Justice

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis quelques semaines, je ne reconnais plus la Tunisie, le pays de mon père et où moi même suis né. Le pays où j'ai grandi a changé, son peuple s'est relevé après des années de silence, insufflant au monde un nouvel air de liberté, une envie de transparence et de démocratie, de dignité retrouvée.

Mais la raison de mon malheur se trouve ailleurs, car aujourd'hui je ne reconnais pas la France. Le pays de ma mère et où moi même, je vis depuis bientôt dix ans, a changé, il n'est plus ce pourquoi mon grand père s'est battu et a connu les camps de prisonniers. Le pays dont j'ai lu les grands auteurs et étudié la pensée, celui dont mon père me parle encore avec respect et émotion me semble désormais totalement étranger, au point que je me demande parfois s'il a vraiment existé.

De nombreux amis me le disent souvent, il ne faut pas réduire la France et son peuple à son gouvernement. Mais inlassablement, je me vois contraint de leur rappeler le silence de nos compatriotes, insoutenable pour qui connait la liberté de ce peuple, sa capacité à s'ériger contre l'injustice ou le malheur d'autrui. Partout, de l'université à l'entreprise, de la rue au foyer, et jusqu'aux hautes sphères de ceux qui nous gouvernent, règne un climat délétère, une ambiance de fin de règne qui n'est pas sans rappeler ce que les tunisiens vivaient il y a encore quelques mois.

« Ça va péter, un de ces jours, ça va péter!» répète-t-on souvent, comme pour conjurer le sort, pour se convaincre soi-même que nous ne nous laisserons pas faire encore bien longtemps. Et pourtant, de suicides au travail en exils volontaires à l'étranger, rien ne semble faire naître cette flamme de la révolte en France, tout juste la résignation prend-elle la forme de l'extrême droite ou du désintérêt pour la politique et les affaires publiques. On condamne les médias, on dénigre les patrons et on vilipende les hommes et les femmes politiques, mais jamais l'indignation ne pousse jusqu'à l'action.

De l'indigence à l'indignité, il n'y a qu'un pas, et nos politiques l'ont franchi depuis longtemps. Il nous revient donc à nous, maintenant, de prendre nos responsabilités pour rappeler les leurs à ceux qui prétendent nous représenter. Et quel meilleur moment qu'aujourd'hui, alors que les peuples du monde se soulèvent pacifiquement pour affirmer leurs droits, alors que la classe politique française est dans la tourmente suite aux révélations sur ses liens multiples, aussi bien personnels que diplomatiques, avec les dictateurs du monde.

Certes, il n'est pas un crime de regarder ailleurs, de se taire ou de modérer son propos, conscient qu'une parole malvenue pourrait occasionner plus de mal que de bien ou envenimer une situation déjà bien compliquée. Mais trop souvent, le zèle s'empare de nos dirigeants, et ceux-ci se font les thuriféraires des régimes les plus corrompus ou des pires despotes. Comment, dans ce cadre, ne pas s'étonner des conditions de leur accueil ou des relations privilégiées qu'ils entretiennent, souvent au delà de leurs mandats, ainsi que des avantages que peuvent en tirer des capitaines d'industrie ou de grands groupes commerciaux qui leur sont également liés.

Ne cherchons pas à voir dans cette situation, un mal proprement français, dans beaucoup d'autres pays aussi, on transige allègrement avec les principes et les valeurs que l'on prétend défendre. Mais cet état de décrépitude éthique de l'action politique n'est pas une fatalité. Déjà, en Espagne, certains tentent de juger les crimes du franquisme pourtant absous par la loi. Pourquoi ne pas proclamer en France la responsabilité pénale des représentants du peuple pour leurs actes ou leur complicité à des actes portants atteinte à l'Humanité, où qu'ils soient commis. La France retrouverait ainsi le rôle qu'elle eut un jour, lorsqu'elle proclama l'universalité des droits de l'homme et du citoyen.

(Publié le 17 mars 2011 sur mon blog)

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