Il en est des affaires privées comme des affaires publiques, seuls les êtres avisés ont une conscience claire de leurs obligations et de leurs bénéfices. N'est-ce pas là justement ce qui différencie l'animal social de la bête sauvage. Ainsi, pour comprendre ce qui caractérise l'esprit éclairé, il est nécessaire de s'interroger sur la nature et l'origine de son inspiration, de même que sur les conséquences d'une mauvaise guidance.
Toutefois, compte tenu des contraintes propres à notre support d'expression, nous nous limiterons ici aux éléments les plus essentiels. Nous considérerons donc acquis que tout être humain est doué de raison, quel que soit son sexe, son âge ou sa condition sociale, et qu'il est également possible à quiconque de se forger sa propre opinion, chacun étant dès lors seul responsable de ses actes et de ses propos.
Une fois posé le cadre de cette réflexion, il est temps d'en venir au fait, qu'est-ce qui permet de savoir ce qu'il revient de faire ou de penser en chaque circonstance ? La première réponse qui nous vient spontanément à l'esprit est la réflexion, et pour cause, il nous faut réfléchir pour répondre à une question. Mais qu'est-ce que la réflexion, sinon un effort sur soi-même afin de mobiliser des connaissances ou d'opérer un raisonnement. Or, ces ressources premières de l'esprit sont elles-mêmes les fruits d'un apprentissage ou d'une expérience, ce qui nous amène à penser que la réflexion ne serait pas la source de la raison mais sa réalisation.
Tout savoir repose lui même sur des présupposés et des acquis, et l'on ne reproduit pas l'intégralité d'un raisonnement à chaque fois que l'on y recourt. Il nous faut donc nous interroger sur ce qui valide ou légitime tels enseignements ou telles expériences, et aux yeux de qui.
D'une manière générale, il existe deux voies pour la reconnaissance d'une idée ou d'un courant, l'une repose sur la démonstration rationnelle, et l'autre sur l'autorité acquise par la tradition. Généralement, l'institutionnalisation de la première donne lieu à la deuxième, et l'argumentation soutenant une théorie a tendance à céder le pas à une adhésion moins circonspecte à la faveur de son succès. Ainsi, l'autorité conférée par la tradition ne disqualifie nullement une idée, même si elle en affaiblit la démonstration, et rares sont ceux qui pourraient défendre toutes leurs convictions de manière rationnelle sans recourir à un moment ou un autre à des positions dogmatiques ou arrêtées.
Cette remarque se vérifie d'autant mieux lorsque les idées en question sont d'ordre moral ou politique. Alors, la part de l'idéologie apparaît clairement dès que l'on confronte une tradition à une autre, et bien mal nous prendrait de penser que la nôtre est plus solidement fondée par la logique que celles de nos adversaires, car eux aussi seraient amenés aux même conclusions les concernant.
En somme, si toutes les doctrines se valent d'un point de vue épistémologique lorsque l'on traite de la vie de la cité, ce n'est donc point notre raisonnement pas plus que nos connaissances ou nos expériences qui peuvent nous guider sur la voie de la sagesse, mais bien notre capacité à faire abstraction de tout ce que nous savons, pour laisser la place à l'autre, et laisser parler notre curiosité, ouvrant ainsi la voie à la concertation.
Ainsi, en matière de relations humaines, n'est-ce pas notre ignorance qui nous caractérise le mieux aux yeux des autres.
(Publié le 15 août 2011 sur mon blog)