Samedi 26 novembre dernier, Wax Tailor se produisait à l'Acropolium de Carthage à l'occasion d'une soirée satellite du FEST, un festival qui promeut la musique électronique et les arts numériques en Tunisie depuis 2007. À cette occasion, il était précédé par des artistes de musique électronique tunisiens (HDxx alias SKNDR et Shinigami San, Hamdi Makhlouf et l'américaine Kevin Blechdom). Après un concert des plus dynamique et dans une ambiance encore palpitante, nous avons rencontré celui qui se définit lui même comme un « metteur en son ».
Tu viens de sortir un live, (Live à l'Olympia, sorti le 8 novembre), pour toi la scène, c'est important ? c'est un moment de création musicale ?
Je serais presque tenté de dire que c'est cinquante pour cent de mon activité artistique. C'est un moment où c'est un peu l'explosion de quelque chose. Il y a le côté très introverti du studio, dont j'ai besoin, je suis quelqu'un de plutôt solitaire à la base, donc les longs mois de studio comme je viens de le faire, c'est quelque chose que je vis très naturellement. J'ai pris des habitudes depuis un bout de temps, j'ai toujours fait de la scène, mais depuis six-sept ans c'est devenu quelque chose d'omniprésent. C'est quelque chose dont j'ai vraiment besoin, c'est un temps où je me retrouve à ramener un petit peu ma création personnelle solitaire de studio et à essayer d'en donner une version collective avec un groupe en disant : voilà on va essayer de réinventer le truc avec une équipe.
C'est aussi une double communion, c'est une communion avec des gens sur scène et avec des gens en face de toi, donc c'est un truc important pour moi, vraiment.
Dans tes morceaux, il y une place très importante qui est faite au discours, que ce soit par des extraits sonores ou les paroles de certaines chansons, et quand tu t'adresses au public, que ce soit sur scène, les réseaux sociaux ou dans tes interviews, tu prends position.
Est-ce que c'est ta façon à toi de militer, de t'engager ?
Oui, on va dire ça. C'est à dire qu'il y a une rhétorique un petit peu constante, pendant très longtemps j'ai écrit, je faisais du rap français, je faisais partie de la scène dite engagée. J'ai horreur de ce terme parce que je vois pas trop ce que ça veut dire au fond, que les autres sont désengagés ? Bref, j'ai ressenti une rupture à un temps donné, je n'avais plus envie de ça, en fait, j'avais un problème avec le côté didactique du discours, un petit peu donneur de leçon, etc...
Et puis je me suis dit à un moment donné que je me sentais beaucoup plus à l'aise dans une création avec une certaine distance. Mais je me suis aussi rendu compte qu'il y avait une autre manière de faire les choses.
C'est à dire aussi qu'il ne s'agit pas simplement d'écrire des choses, je me disais que je n'étais pas forcément militant dans le quotidien, même si j'ai une activité et des engagements qui sont personnels. Mais il y a quelque chose qui revient souvent sur cette question là, c'est que tu ne peux pas faire l'unanimité. Il y a des gens qui ne le comprennent pas, je reçois souvent des messages de gens qui me disent « moi ça me dérange quand tu prends position, parce que j'aime bien ta musique mais j'ai pas envie de savoir ceci ou cela ».
Je trouve que c'est une erreur, personnellement, j'ai du mal à concevoir l'idée de l'artiste qui n'a pas de positions. C'est à dire que tu serais quoi, une espèce de chanteur yéyé ? Non, évidemment que tu as des positions, ça veut pas dire que tu fais du prosélytisme. C'est juste se positionner sur quelque chose, dire à un moment donné, que je me sens concerné. Le matin, quand je me lève, j'ai pas le réflexe d'écouter de la musique, j'ai le réflexe d'écouter les infos. Je suis citoyen, la première chose que je fais c'est France Inter, c'est d'aller voir Libé, d'aller voir ce qui se passe. On est acteurs du monde. Moi je suis citoyen, acteur du monde donc je me sens concerné. Des fois, quand les gens me demandent quelles sont mes influences, j'ai presque envie de dire que la première source c'est le quotidien, le monde tel qu'il est.
L'année 2011, elle est incroyable, ici je n'en parle même pas. Donc j'ai du mal à concevoir l'idée qu'un artiste disent « oh ben moi... ». Après, on a tous notre sensibilité, il y en a qui se sentent plus ou moins concernés, c'est naturel. Mais oui, c'est ma façon de militer parce que je pense qu'il faut l'accepter ou l'assumer, j'ai de toute évidence une sorte de parole publique. Quand tu as un poids, il faut tout relativiser, mais je trouve que ce serait dommage de ne pas être clair sur certaines positions.
Ce soir tu es en Tunisie, pratiquement un an après le début de la révolution, est-ce qu'on peut y voir une forme d'encouragement ? Quelle est ta relation à la Tunisie ?
En fait, Afif (ndlr : organisateur du FEST) m'a contacté quelques semaines après le début de la Révolution, à ce moment-là, j'étais complètement médusé. Sans tomber dans des raccourcis, il y a deux moments qui m'ont marqué depuis trois-quatre ans, d'abord, il y a eu l'investiture d'Obama. Je n'étais pas dans un fantasme de l'homme providentiel, ça c'était une connerie. Ce qui m'a fait rêver, ce n'est pas Obama en soi, c'est un peuple qui d'un coup s'est remis à rêver. Je me suis revu gamin, avec mes parents qui sautaient de joie le 7 mai 1981, parce que Mitterrand arrivait et qu'ils se disaient que tout allait changer. Moi, j'étais gamin, j'avais cinq-six ans, je ne comprenais rien, mais j'étais content parce que mes parents étaient contents, et je me disais : il se passe quelque chose.
Aujourd'hui, en tant qu'adulte, j'ai cette frustration très profonde, je me demande pourquoi on nous a interdit l'espoir ? J'ai le sentiment qu'en France on nous interdit l'espoir. On vote par dépit, on vote constamment par dépit. Et puis d'un coup il y a eu ce raz de marée monstrueux. J'étais en contact avec des associations comme Takriz (ndlr : groupe de cyber-activistes opposants au régime de Ben Ali) avec qui je discutais parce que j'étais mal à l'aise, et pas que sur la question de la Tunisie, mais de façon globale. Notre politique extérieure depuis 5 ans c'est un drame. J'ai le sentiment de m'excuser constamment en dehors des frontières.
Et là je vois ce truc et je me dis qu'il se passe quelque chose de majeur. Des gens de l'intérieur ne l'avaient pas ressenti aussi fort ! Enfin moi, ça m'a complètement fasciné, j'étais scotché devant mon écran, je me disais : ce qui se passe est fou... Du coup, dans la foulée, avec mes prises de positions passées, avec Takriz, quand il m'a proposé de venir en Tunisie, je me suis dit, c'est génial ! Évidemment ! Bien sûr !
Justement, ce soir, tu as rendu hommage à Takriz, qui a été salué par le public, est-ce que tu veux nous en dire plus ?
Oui bien sûr. C'est une association qui m'a contacté il y a deux ans, un peu plus peut-être, je ne sais plus, en m'expliquant un petit peu quel était leur engagement, comment ils se positionnaient par rapport à la situation à l'époque où Ben Ali était en place et où il n'y avait pas encore de signe tangible de changement.
C'était à un moment où moi, en tant que citoyen français, je me disais : j'ai un pouvoir en place qui reçoit Ben Ali comme un ami de la France, qui nous explique, quand on entend bruisser que c'est un dictateur, qu'il faut pas en rajouter... Je les ai à peu près tous en tête, toutes les sorties de l'UMP sur la question : que c'est un ami de la France, que ceci, cela, que c'est un homme qui a engagé des réformes, etc... Oui, c'est sûr, quand il vous paie des vacances ça va mieux.
Bref, du coup j'étais un petit peu mal à l'aise par rapport à tout ça, donc forcément, j'ai eu envie de me positionner clairement, ils m'ont dit : « on aimerait avoir un ambassadeur en France », je leur ai dit : voilà, vous l'avez. Avec grand plaisir.
Tu as joué ce soir dans le cadre du FEST, comment as-tu perçu l'ambiance, ton public ?
C'était... C'était carnavalesque ! (rires) C'était vraiment chouette. Sincèrement, ça donnait l'impression qu'on disputait la finale de la Champions League, je ne sais pas, je ne peux pas te dire. C'est un des plus beaux moments qu'on ait eu en termes de public, sincèrement, vraiment.
Et au niveau de la musique, est-ce que tu as une connaissance de la scène électro tunisienne ou de la scène Hip Hop ?
Non. Un petit peu en Hip-Hop, j'avais deux-trois choses qui étaient passées un temps donné. Mais c'est très limité, sincèrement. On m'en parlait cet après-midi, et je disais que j'avais une curiosité de façon plus globale sur les musiques traditionnelles, sur des vieilles choses, mais ça c'est mon côté un petit peu archéologue de la musique, d'aller chercher des choses, donc j'ai un petit peu plus de curiosité par là. Et puis après, c'est à peu près la même problématique partout, c'est à dire que je pourrais te répondre la même chose sur la Suède, sur plein de pays parce qu'on est dans cet espèce de monopole, quand tu n'as pas une curiosité très pointue sur un genre musical, c'est difficile de savoir ce qu'il se passe dans des pays autres que ton propre pays, les États-Unis et l'Angleterre en gros.
Une dernière question, tu nous parlais de la France et de sa position vis à vis de Ben Ali, qu'est-ce que ça te fait, ce soir, de jouer dans une (ancienne) cathédrale, dans un pays musulman où les islamistes viennent de remporter les élections ?
Justement, tout à l'heure je me suis questionné sur ce que je pouvais dire, parce que ça me paraissait difficile de venir et de ne pas dire quelque chose. C'est complexe parce qu'encore une fois, il y a toujours le danger d'arriver comme une espèce de donneur de leçon, l'espèce d'occidental qui arrive et qui... et c'est pas l'idée.
Mais par contre, j'ai réfléchi avant, je me suis dit : je me connais, je parle beaucoup trop, j'étais capable de leur parler pendant 10 minutes, et c'était pas l'idée. Alors, je me suis dit : qu'est-ce que tu ressens vraiment ? J'y ai réfléchi avant de monter sur scène et je me suis dit ce que j'ai dit ce soir, deux temps, le temps de début d'année : COURAGE et ESPOIR, où on se dit : « wouah c'est beau ». Le truc te touche, tu fais : « wouah » ! Et quand tu vois l'effet papillon du truc, c'est génial !
Et après je parlais de la vigilance aussi, parce qu'on voit les résultats des élections aujourd'hui. Déjà, en France, je trouve qu'on a pas mal d'analystes qui sont dans une posture un petit peu : « oui, il faut pas s'affoler, ce sont des modérés, vous savez ces gens-là, il leur faut le temps... » tu sais, cet espèce de point de vue un peu occidental. Moi je suis assez méfiant par rapport à ça, je me dis, encore une fois une position de donneur de leçon occidental.
Et j'ai dit aussi ce soir : attention, avec la puissance de ce qu'il y a eu en début d'année, VIGILANCE et PERSÉVÉRANCE parce que c'est fragile, c'est constamment fragile. Je pense qu'il ne faut pas se dire que ça y est, etc... Moi, j'ai un sentiment, après, c'est très très délicat et je ne pense absolument pas être assez qualifié pour, mais j'ai quand même le sentiment que...disons que j'ai du mal à penser qu'un parti islamiste, dit modéré, n'ait pas de velléités prosélytiques.
Je ne suis pas non plus un spécialiste des écrits religieux, mais il me semble qu'il y a une sourate sur la question quand même, sur la séparation entre le pouvoir politique et la religion. Par définition, j'ai tendance à penser qu'il y a un risque, voilà. Après, je n'ai pas envie d'en dire plus parce que je suis extérieur, il faut toujours être vigilant, donc je pense qu'il faut être vigilant et persévérant.