L’application de la loi dite du « plein emploi », qui conditionne le RSA à 15h d’activité hebdomadaire depuis janvier 2025, vient de franchir un nouveau palier en ciblant les étranger·es non européen·nes ayant signé le Contrat d'intégration républicaine (CIR).
De nombreuses associations avaient déjà dénoncé cette loi depuis son vote en 2023, la loi « Plein emploi », qui précarisait notamment les mères isolées, statistiquement surreprésentées parmi les bénéficiaires du RSA. Depuis octobre 2024, la LDH , le Secours Catholique et d'autres organisations demandent la suspension de cette réforme. Avec l’inscription automatique à France Travail des étranger·es non-européen·nes, annoncée par le gouvernement mercredi 2 juillet, l’application de cette loi prend une tournure de plus en plus discriminatoire et raciste
Depuis janvier 2025 et la mise en application de la loi, les bénéficiaires du RSA doivent signer un « contrat d’engagement », conditionnant le versement de l’aide social à 15h d'activité hebdomadaires. dont personne ne sait encore aujourd'hui à quoi cela correspond, si ce n'est une mise à disposition obligatoire des bénéficiaires et/ou des allocataires.
Au 1er janvier 2025, c’est donc 3,5 millions de bénéficiaires du RSA qui ont été automatiquement inscrit·es à France Travail, sans qu'aucune dotation supplémentaire ne soit attribuée à France Travail. Les étranger·es non européen·nes , qui auraient signé le contrat d'intégration républicaine (CIR) de leur côté, seront désormais également inscrit·es automatiquement à France Travail sans savoir s'ils cherchent ou non un emploi. De fait, ils seront soumis au contrat d'engagement et aux 15h de mises à disposition hebdomadaire.
Un dispositif conçu pour contrôler et exploiter les étranger·es non européen·nes
La perversité de ce dispositif se dévoile encore davantage lorsqu’on observe sa mise en application. Le CIR est déjà contraignant par nature, car le préfet peut résilier le contrat sur proposition de l'Ofii (Office Français de l'Immigration et de l'Intégration) notamment en cas de non participation à une formation prescrite. Or, un plan d’action a été mis en place à France Travail, qui permet de flécher tous·tes les étranger·es hors-UE vers des postes de métiers en tension : aides-soignant·es, aides à domicile et commis·es de cuisine, quelles que soient leurs qualifications initiales. Ces postes souffrent de conditions de travail précaires et difficiles, d’horaires fractionnés, de conventions collectives délétères qui maintiennent les rémunérations à des niveaux extrêmement bas.
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Contrairement à ce que prétendent les ministères de l’Intérieur et du Travail dans un communiqué, cette circulaire ne cherche pas à « améliorer le taux d’activité des étrangers en situation régulière », et encore moins à participer à l’intégration des étranger·es en les accompagnant dans un projet, vers un avenir. Il s’agit au contraire de fragiliser davantage l’accès à des titres de séjours, en les conditionnant à l’exercice d’activités précaires et néanmoins essentielles, dans lesquelles des manques de travailleur·euses se font ressentir.
Ainsi, le gouvernement fait d’une pierre deux coups :
- d’un côté, il remplit des emplois qui ne trouvent pas preneur·euses en exploitant des travailleur·euses étranger·es précaires, ce qui leur permettra certainement de dégrader encore davantage les conditions de travail de ces métiers ;
- et de l’autre côté, le gouvernement instaure un dispositif qui rend les étranger·es non-UE plus facilement expulsables en cas de manquement à ces obligations administratives.
C’est donc bien une circulaire discriminatoire qui vise l’exploitation et le contrôle des personnes racisées et précaires.
Précarisation des travailleur·euses du "care" et mise en danger des usager·es
D’un point de vue féministe, les métiers concernés par le fléchage de France Travail (commis·e de cuisine, aide soignant·e, aide à domicile) sont intégrés dans ce que la philosophe italienne Sylvia Federici appelle le travail reproductif, c’est-à-dire un travail invisible et peu ou pas rémunéré. Le travail reproductif est précaire, physiquement et émotionnellement épuisant, dévalorisé sur le plan financier, mais contribue néanmoins à maintenir des êtres humains en vie. C’est le travail du care (soin), qui repose essentiellement sur certaines minorités – femmes et minorités de genre, personnes racisées, étranger·es, etc.
De ce point de vue, la nouvelle application de la loi dite du plein emploi, couplée à la signature du CIR, a deux conséquences très concrètes. La première conséquence concerne les usager·es de ces services, que la circulaire met directement en danger. En effet, la circulaire met en péril la bonne exécution des missions de soin, centrales dans les métiers d’aide aux personne, en les confiant à des personnes primo-arrivantes, dont la maîtrise de la langue française pourra être parfois incertaine, voire nulle. Qu’advient-il de la relation de soin – changer un patient, effectuer la toilette d’une personne âgées, etc – lorsque les deux personnes participant à cette relation ne sont pas en situation de pouvoir communiquer entre elles ? La seconde conséquence, que nous avons déjà développée, est qu’elle va nécessairement dégrader encore les rémunérations et conditions de travail de ces métiers pourtant essentiels, et fragiliser toujours plus les travailleureuses de ces secteurs, en les transformant en travailleureuses détachées du care, à la fois corvéables à merci, et expulsables en fonction de l’orientation politique et économique des futurs gouvernements.
Et, alors qu'une campagne nationale se déploie pour appeler à "s'engager" dans l'armée, comment ne pas imaginer que ces mêmes étranger·es ne seront pas sollicité·es pour y participer ?
Qui cherche à organiser la défaite des travailleur·ses, des privé·es d'emploi et des plus précaires ?
Rappelons-nous des propos sans équivoque de Fabien Roussel : la gauche doit défendre le travail et le salaire et ne pas être la gauche des allocations, minimas sociaux et revenus de substitution", qui ont sans doute contribué à ce que la direction de la confédération de la CGT ne se saisisse d'aucun levier pour faire abroger cette loi. L'appel à la grève de l'intersyndicale de France Travail en février 2025 aurait-il pu déboucher sur l'abrogation de cette loi, s'il n'avait pas été annulé par l'intersyndicale qui l'avait pourtant convoqué ? Seules les associations de terrain ont mené la bataille contre cette loi abjecte qui transforme radicalement la société.
La gauche sociale démocrate avait par ailleurs emboité le pas de la Macronie en signant une tribune qui exigeait « la régularisation [...] des sans-papiers dans les métiers en tension », avec Ruffin en tête des signataires. Les étranger·es y étaient déjà perçu·es comme la variable d'ajustement d'un marché de l'emploi en berne, et servi·es sur un plateau par celles et ceux qui prétendent être des forces de progrès, les mêmes qui jouent aux équilibristes en parlant de l'extrême droite comme d'un fantôme du futur.
Faut-il rappeler ici que le gouvernement d’extrême droite de Georgia Meloni, en Italie, met déjà en place des politiques qui permettent de « répondre aux pénuries de main d’oeuvre » par l’exploitation des travailleureuses étranger·es ? Il n’est nul besoin d’agiter le chiffon lointain de la menace fasciste que constituerait un gouvernement mené par le Rassemblement National : Macron et ses gouvernement se chargent déjà de mettre en œuvre des politiques d’extrême-droite et peuvent compter sur l'inertie complice de toute une partie des organisations de « gauche ».
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