L'économie traditionnellement agro-pastorale de l'Uruguay, déjà bien altérée par l'effet de la plantation d'essences d'arbres destinés à la production de cellulose et par les cultures de soja de la ferme globale, n'échappe pas au boom minier que traverse l'Amérique Latine au rythme de la demande asiatique, et de la spéculation financière sur les métaux. Il a généré une résistance inédite contre l'extraction minière à ciel ouvert dans le pays, et divers secteurs de la société luttent pour la préservation de l'écosystème de la Pampa.
par Víctor L. Bacchetta 25/04/2012
L'Uruguay est un petit pays de 177.414 km2, d'une population de 3,2 millions d'habitants, situé entre le 30º et le 35° parallèle Sud, et au relief légèrement ondulé. D'une altitude moyenne de 300 mètres au-dessus du niveau de la mer, l'Uruguay bénéficie d'un climat tempéré subtropical humide, et de pluies régulièrement distribuées tout au long de l'année. Le territoire se trouve au coeur du biome de la Pampa, et se trouve couvert d'un tapis quasiment continu de pâturages naturels, jouissant ainsi de 16 millions d'hectares aussi bien propices à l'élevage bovin et ovin, qu'à l'agriculture.
Traversé par de nombreux fleuves et cours d'eaux, l'Uruguay partage avec l' Argentine, le Brésil et le Paraguay, l'Aquifère Guarani, l'une des plus importantes réserves d'eau douce de la planète. Celui-ci s'étend sur 45.000 km2 dans la région Nord du pays ; dans sa partie Est, l'eau se trouve à peu de mètres de la surface, pour descendre dans sa partie Ouest à plus de mille mètres, sous un manteau de roches basaltiques. En 2004, l'Uruguay a approuvé par la voie du plébiscite que l'accès à l'eau soit considéré sur son territoire comme un Droit Humain fondamental, dont la gestion incombe à l'état.
Les réserves minérales connues en Uruguay de façon certaine sont le fer au centre du pays (Valentines), l'or au Nord-Ouest dans quelques localités, et l'ilménite. Il s'agit de gisements relativement petits en volume, et à basse concentration de minerai.Bien que la concentration de fer ne soit que de l'ordre de 28%, et que celle de l'or soit comprise entre 1 et 1,9%, la conjoncture spéculative du marché international les a rendus subitement rentables. Aux études antérieures viennent s'ajouter celles récentes, de viabilité de l'extraction de gaz de schiste (shale gas) au centre-Nord du pays.
Le marché des métaux a été conditionné ces dernières années par une forte croissance des économies asiatiques, particulièrement la Chine, et par une spéculation incontrôlée sur les métaux et matières premières, qui ont enregistré en 2008, suite aux crises financières en Espagne et aux États-Unis, un fort bond des prix. En trois ans le prix du fer s'est vu multiplié par cinq. Il est aisé dans ces conditions, d'analyser les raisons qui peuvent conduire à ce que des gisements tels que Valentines, jamais exploité auparavant, puissent attiser les convoitises.
Entre 2000 et 2010, le nombre de demandes de permis pour la prospection de fer en Uruguay se situait autour de 90.000 ha; en 2011 elles ont atteint le million d'hectares. Selon le Ministère de l'Industrie, le nombre total d'hectares sollicitées pour la prospection minière serait de 3,5 millions, c'est à dire quasiment 25% de la surface productive du pays. Cette prospection a de plus été encouragée par le gouvernement, par le biais de subventions et autres concessions.
S'agissant de gisements de petite taille et relativement pauvres, les capitaux qui sont introduits en Uruguay visent une exploitation rapide à grande échelle, afin de profiter de la conjoncture internationale. L'opportunité passée, le pays n'héritera que de la destruction de son tissu social et de son environnement. Paradoxalement, tandis que des pays de notoire tradition minière recherchent d'autres voies de développement, l'Uruguay semble vouloir parcourir le chemin inverse, et substituer un riche écosystème par d'occasionnels négoces.
Expérience régionale
D'autres pays du continent sud-américain, tels que le Chili, la Bolivie et le Pérou, possèdent de grandes richesses minérales et l'expérience de processus extractifs de longue date. La conjoncture internationale actuelle a signifié pour eux également, une incrémentation de l'investissement; bien que les mines y soient en majorité situées dans la région Andine et en conditions climatiques désertiques ou semi-désertiques, les impacts sociaux et environnementaux de ces opérations à ciel ouvert de grande envergure, y sont à l'origine de forts mouvements sociaux et populaires de résistance.
Ce phénomène croissant se manifeste aujourd'hui dans toute la région, qu'il se nomme commission, association de voisins, citoyens auto-convoqués, assemblée citoyenne ou simplement communauté et habitants de tel endroit. Il est fréquent que les maires, élus et conseillers municipaux, prêtres en charge des paroisses, se solidarisent avec la population. Des fédérations ou des confédérations se forment, avec comme point de départ commun des réalités territoriales et locales.
Face à l'avancée du modèle extractiviste, les communautés se voient contraintes de défendre leur durabilité socio-environnementale; mais ni gouvernements, ni entreprises, ni ONGs, ne semblent avoir prévu ces nouveaux acteurs, et encore moins assimilé la valeur potentielle de leur participation.
Depuis des décennies, à la lecture des accords des organisations internationales, la participation des communautés locales à la prise de décision dans des projets qui les affectant directement semble être un principe consolidé. Les états de la région ont modifié leurs propres structures et ont opté pour des formes de gouvernement moins centralisées. Cette tendance s'oppose toutefois à la globalisation économique qui impose une centralisation totale de la décision. Que groupes locaux, communautés, populations régionales, puissent réclamer le droit d'intervenir dans prise de décision sur de grands projets d'investissements, se semble pas cadrer avec la réalité.
La pratique réelle de la participation se fait rare, et peu nombreux sont les gouvernements qui se préoccupent de recueillir l'opinion et de savoir quelle serait la démarche des populations affectées. Lorsqu'elles se décident à agir de façon autonome, leur intervention ne semble non seulement pas bienvenue, mais est le plus souvent ignorée, manipulée, voire criminalisée et réprimée.
Le réveil uruguayen
Il n'a jamais existé en Uruguay d'exploitation minière de grande envergure, ni par conséquent de mouvements sociaux en relation avec la problématique, jusqu'à l'arrivée en 2007 de la multinationale Zamin Ferrous (ou Aratiri, sa filiale locale) et de son projet d'extraction de fer à ciel ouvert dans la région de Valentines. En phase d'exploration, ont surgit les premiers conflits avec les producteurs ruraux, organisés depuis des générations sur une vaste étendue, en petites et moyennes exploitations.
Le conflit s'est progressivement amplifié aux balnéaires de la côte, à leur tour menacés par un projet de pipe-line et de port en eaux profondes pour l'exportation du minerai. Début 2011 , producteurs ruraux, résidents côtiers, organisations sociales et citoyens de diverses localités, se sont constitués comme « Movimiento por un Uruguay Sustentable » (MOVUS : Mouvement pour un Uruguay Durable) avec pour finalité l'information et la mobilisation de l'opinion publique contre les grands projets miniers à ciel ouvert.
Il s'agit d'un mouvement social sans précédent en Uruguay. Les producteurs confrontés à l'industrie minière ne sont pas de grands propriétaires terriens, mais des producteurs familiaux qui travaillent et vivent de la terre. Ils en sont les propriétaires, non comme de simples entrepreneurs, mais en pleine connaissance des sols qui constituent historiquement la base de leur activité, et en pleine conscience de la valeur de cet écosystème pour la survie de l'ensemble de la société. Des spécialistes de différentes disciplines académiques ont rejoint le MOVUS, apportant ainsi leur expérience technique à la critique de l'activité minière à ciel ouvert.
Jusqu'à présent, hors l'appui manifesté par le syndicat des travailleurs de l'eau et de l'assainissement (FFOSE) , à l'origine de l'initiative de la réforme constitutionnelle de l'eau, le soutien des syndicats étudiants et ouvriers, dominés par la gauche officielle au pouvoir (Frente Amplio), est relativement rare. Ces secteurs ne semblent pas tenir compte de l'environnement en tant qu'objet central de l'actuel capitalisme, mais plutôt confondre agro-négoces et extraction minière à grande échelle avec une modernisation qui serait capable de générer l' émergence d'un vigoureux prolétariat. Or la destruction et la contamination de l'environnement sont partie intégrante de la rentabilité de telles entreprises, qui parviennent socialement à renforcer la concentration de la propriété de la terre, tout en générant moins d'emplois que les anciens grand domaines agricoles.
Le MOVUS, le Collectif de Lutte pour la Terre, les travailleurs de la canne à sucre (UTAA) et d'autres organisations sociales ont réalisé en 2011 deux grandes marches à cheval "En Défense de la Terre et des Biens Naturels » qui ont ému la capitale. Les différentes activités d'information et les actions de rue sont parvenues à positionner le sujet dans l'agenda publique, obligeant les différents secteurs politiques à modérer leurs aspirations.
Malgré le fait que début 2011 certains membres du gouvernement aient annoncé l'approbation du projet Aratiri pour le mois de juillet, il se trouve q'une telle autorisation n'a pas encore eu lieu. Suite au refus de la première Étude d'Impact Environnemental, élaboré par la transnationale, il en a été présenté une nouvelle, sans variations majeures, qui est actuellement soumise à l'analyse du gouvernement.
La lutte continue.
Le modèle de saccage déprédateur des biens naturels est toujours en vigueur dans le pays, et des projets d'extraction minière à ciel ouvert sont à l'ordre du jour. Il reste encore beaucoup à faire pour consolider un mouvement capable de proposer aux entités législatives et exécutives une stratégie de développement alternatif, et qu'une telle option soit adoptée en tant que politique nationale.
C'est dans cette perspective, que les déclarations publiques du mouvement ne se contentent pas de rejeter l'extraction de métaux à ciel ouvert à grande échelle, mais revendiquent également :
● le droit des producteurs et de leurs familles de continuer à travailler leurs terres;
● la conservation et le développement du potentiel touristique du pays;
● l'exigence de terre pour celui qui la travaille;
● un Uruguay « vraiment naturel », en défense des biens naturels;
● un pays où les plus démunis soient les plus favorisés;
● le droit des communautés à élaborer et à participer aux projets impliquant directement leur forme de vie et leur environnement.
Le MOVUS s'est doté du blog de l' « Observatorio Minero del Uruguay » (www.observatorio-minero-del-uruguay.com) et du quotidien MOVUS (www.scoop.it/t/movus), afin de fournir une information systématiquement actualisée sur le sujet. Il a également recours aux réseaux sociaux, en intervenant dans différents groupes de Facebook, tels que "No a la minería a cielo abierto en Uruguay", "Uruguay libre de megaminería" (« Non à l'extraction minière à ciel ouvert en Uruguay », « Uruguay libre de mines à ciel ouvert » etc., regroupant des milliers de participants, et qui constituent une pépinière de nouveaux groupes et d'actions.
Le mouvement s'articule et communique à travers une liste de courrier électronique, et se réunit mensuellement. Il nous semble important de signaler que le mouvement ne s'engage à participer ou soutenir les actions menées par les différents groupes et organisations qui le composent, que si celles-ci obtiennent le consensus de l'Assemblée.
(Traduit de l'espagnol par Patricia Giancotti / Publié dans la revue espagnole "Ecología Política")