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Billet de blog 13 mai 2012

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Fracking en Uruguay?

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Par Victor L. Bacchetta, publié dans l'hebdomadaire Voces (23/02/12).

ANCAP: « Être ou ne pas être » La prospection de carburants fossiles en territoire uruguayen s'achemine vers leur exploration et leur possible exploitation. Dans ce processus les différentes parties, ANCAP (Administration Nationale des Combustibles Alcools et Ciments) et la société américaine Schuepbach, ne semblent pas cultiver les mêmes attentes. Pour ajouter encore à la complexité, les États-Unis gravitent autour du sujet avec une toute-puissance devenue coutumière.

Le président d'ANCAP Raúl F. Sendic a qualifié d'"historique" le contrat signé le 13 Février entre l'organisme d'état uruguayen et la société américaine Schuepbach Energy pour l'exploration et l'exploitation d'hydrocarbures sur le territoire national. L'une des zones d'exploration s'étend sur un million d'hectares dans les départements de Tacuarembo, Salto, Paysandu et Durazno, et l'autre sur près de 300 mille hectares, dans le département centre-est de Salto.

Il s'agit d'un accord pour 30 ans, dont les huit premiers seraient consacrés à la phase d'exploration. En cas de découverte importante, ANCAP définirait la conformation d'une société mixte au sein de laquelle sa participation au capital serait d'un maximum de 50% , et dont l'objectif serait un projet d'extraction pétrolière. Schuepbach s'est engagée à réaliser une étude sismique et l'investissement en phase d'exploration serait de 6 à 8 millions de dollars.

Antécédents.

Sur le site Web d'ANCAP, est exposé ce qui suit:

«Les schistes gazifères sont des roches sédimentaires de fine granulométrie, riches en matière organique et en mesure de générer et de conserver du gaz, qui peut être exploité par des méthodes non conventionnelles. Un schiste avec un taux de carbone organique total de 2% présente un bon potentiel pour la production de gaz, s'il atteint les conditions de maturation adéquates. Cette roche agit à la fois comme source et comme réservoir de gaz, sans pièges ni jointures, ce qui lui confère généralement une répartition régionale. Étant de très faible perméabilité, l'extraction du gaz ne peut se faire que par des méthodes non conventionnelles, telles que la fracturation et le forage horizontal. Un bon exemple de ce type d'exploitation non conventionnelle est le dépôt de Marcellus, le plus grand des États-Unis, dans la région nord-est. "

«En Uruguay, les séquences sédimentaires du Dévonien et du Permien du Bassin Nord présentent un bon potentiel de cette ressource. Les schistes marins de la Formation Cordoba (Dévonien inférieur) sont les plus prometteurs, avec une épaisseur de plus de 100 mètres et des valeurs de COT atteignant 3,6%. "

Les sites Web de Schuepbach et d'ANCAP se réfèrent dans les mêmes termes en 2009, au contrat précédent:

"En Octobre 2009, un contrat a été signé avec la société américaine Schuepbach Energy LLC pour la prospection d'hydrocarbures onshore en Uruguay, en particulier la prospection de gaz naturel de schistes, sur une superficie de 9890 km2. Celui-ci constitue le premier contrat à risque de prospection d'hydrocarbures onshore de l'histoire de l'Uruguay, en vertu du décret 454/006. "

"Comme on peut le voir sur la carte, la zone concernée par le contrat est située dans le centre - nord du pays et comprend les départements de: Durazno, Tacuarembó, Paysandú et Salto."

"L'accord minimum de prospection conclu entre ANCAP et Schuepbach Energy LLC comprend l'analyse d' échantillons intacts provenant des affleurements (COT, type de matière organique, mesures géochimiques, contenus silico-clastiques, porosité, la présence de siltstone inter-stratifiée / grès), le modèle de maturation du schiste, le modèle de gravimétrie et l'étude de faisabilité. "

Le premier gouvernement du Frente Amplio (Front Large) a amorcé le développement et approuvé en Août 2008 avec une révision en 2009, la politique énergétique 2005-2030, inexistante jusque-là. En Février 2010, à l'initiative du gouvernement nouvellement élu, une commission pluri-partidaire de l'énergie est créée. Les aspects fondamentaux de cette politique ont été approuvées par les trois partis de l'opposition parlementaire.

Dans le cadre de l'objectif global de la diversification de la matrice énergétique, cette politique nationale stipule: "7) Explorer le pays à la recherche d'énergies non renouvelables: schistes, charbon, gaz de schiste, uranium, etc. Promouvoir des entreprises pilotes pour leur utilisation." Bien que nous nous intéressions ici au gaz de schiste, il vaut la peine de préciser que la loi 16.832 de 1997 interdit l'utilisation de l'énergie nucléaire sur tout le territoire national.

La durée du contrat de prospection entre ANCAP et Schuepbach était de deux ans et donnait priorité à la société américaine pour l'obtention d'un contrat d'exploration et d'exploitation dans l'aire définie.

Schuepbach

Basée à Dallas, Texas USA, Schuepbach Energy LLC est une junior en recherche de minéraux énergétiques fondée en 2007, et partenaire de la société d'investissements CIC Partners. L'entreprise définit ainsi son objectif : «découvrir, capter et exploiter les ressources énergétiques à grand potentiel, tant à l'échelle nationale qu' internationale, avec une spécialisation dans les formations de schiste."

Son président et directeur, Martin Schuepbach, est présenté comme un dirigeant aguerri dans le secteur de l'énergie au sein de compagnies telles qu'Exxon et Maxus Energy. Il est également souligné qu'en vertu de son expérience géologique et de ses relations internationales, Schuepbach a fondé et vendu avec succès deux entreprises d'exploration dans les 15 dernières années. Autrement dit, la junior ne s'est pas chargée elle même de l'exploitation, mais a effectué un transfert de licences vers d'autres entreprises.

En 2011, Schuepbach se vantait d'avoir obtenu en trois ans grâce à ses filiales, des concessions internationales sur plus de 1,6 millions d'hectares. La société a déclaré que ces licences comprenaient plusieurs des gisements les plus prometteurs de gaz de schiste en Europe. En Uruguay, le contrat porte sur un million d'hectares. Si ces chiffres sont exacts, cela pourrait laisser penser que l'essentiel de ses activités se concentrerait en Uruguay.

Schuepbach est ouvertement spécialisée dans les gaz de schistes dont l'exploitation s'effectue au moyen de la technologie américaine du fracking. En Octobre 2011, après l'adoption de la loi interdisant la fracturation hydraulique le gouvernement français lui a retiré deux permis d'exploration, la société ayant omis de fournir dans les deux mois une proposition de technologie alternative.

Dans le cadre de sa prospection en Uruguay, Schuepbach a procédé à une perforation sur le site de Cuchilla Santo Domingo, près du village de Achar et du cours d'eau de Carpintero, dans le département de Tacuarembó. Selon les informations fournies à la DINAMA (Direction de l'Environnement) par son responsable technique, le géologue Gérard Veroslavsky, le forage a eu lieu du 9 mai au 8 juin 2011 à une profondeur de 435,9 mètres jusqu'à atteindre le sous-sol cristallin.

Quelques jours plus tard, Schuepbach et ANCAP annonçaient la découverte de roche pétrolifère à 400 mètres de profondeur. Martin Schuepbach en a commenté le fort potentiel. "Nous sommes ici en présence d'une roche mère de catégorie mondiale et de pétrole libre dans un puits d'eau. Ces deux éléments sont très, très encourageants, et pourraient être potentiellement très importants».

Dans les mois qui ont suivi, les deux sociétés ont négocié le contrat d'exploration et d'exploitation. Lors de la cérémonie de signature le 13 février, Schuepbach a déclaré que les tests sismiques postérieurs à la découverte de gisements de schiste justifieraient un investissement de 8 millions de dollars en nouveaux forages. Il est apparu que l'entreprise envisageait d'explorer quelques 500.000 hectares, mais curieusement 1,3 million d'hectares lui ont été attribués.

ANCAP

Lors de la signature du premier contrat avec Schuepbach, Germán Riet, alors président d 'ANCAP, fit une série de déclarations publiées sur le site de la Présidence de la République, dans lesquelles il fait référence à ses attentes de découverte et d'extraction de gaz de schiste pour la génération d'électricité, tout en soulignant l'importance de la « diversification énergétique » et de la réduction des importations pétrolières.

Interrogé aujourd'hui sur ces déclarations, Riet actuellement vice-président d'ANCAP, affirme: "Je me suis trompé, soit moi, soit le journaliste," car la production d'électricité doit être pensée en termes de schistes bitumeux et non de gaz de schiste. "La priorité absolue est de connaître et d'évaluer le type réserves existant en Uruguay » déclare-t-il, tout en précisant que « jusqu'à présent, ANCAP comme le gouvernement, à ma connaissance, ne songent qu'au pétrole ou au gaz conventionnel . "

De Santa Ana, directeur d'exploitation et de production d'ANCAP, le plus haut poste technique dans ce domaine au sein de l'organisme d'État, se déclare en accord avec les appréciations de Riet et le soutient dans son évaluation des études menées jusqu'à présent sur le sous-sol uruguayen. Toutefois, les États-Unis font état d'estimations de réserves différentes.

De Santa Ana fait valoir que l'intérêt suscité par l'Uruguay ces dernières années en matière de prospection d'hydrocarbures est le fruit d'une «révolution conceptuelle» en matière de géologie et de modèle du bassin Nord, conduite par lui-même et une équipe de techniciens locaux , qui aurait permis de déceler la présence de roche mère dans des lieux pour lesquels n'existait auparavant aucune information, tels La Paloma et Achar.

À l'initiative de la direction d'ANCAP, Santa Ana et son équipe (constituée au cours des cinq dernières années), se sont chargés d'expliquer cette nouvelle approche aux experts géologues des pays voisins partageant le bassin, et à ceux des pays les plus avancés en recherche d'hydrocarbures. Ce fut la base de lancement des Cycles d'Uruguay (Ronda Uruguay I et II) qui parvinrent à décider plusieurs sociétés étrangères à signer des contrats à risque. C'est à ce point qu'interviennent les Etats-Unis.

En Avril 2011, une estimation préliminaire de 14 régions hors territoire des Etats-Unis, émanant de l'Energy Information Administration (USEIA) attribue à l'Uruguay des réserves techniquement récupérables de gaz de schiste de 21 TCF (trillions de pieds cube). En Août de la même année, l'US Geological Survey (USGS), procède à une évaluation du bassin du Nord de l'Uruguay, estimant les réserves à 13,4 TCF.

Santa Ana confirme que les calculs des agences des États-Unis sont basées sur le nouveau modèle géologique élaboré par ANCAP et les informations fournies par ses techniciens, tout en se désolidarisant complètement de leurs conclusions. "C'est tout à fait spéculatif, il n''existe aucune preuve, aucune évidence. Normalement, à ce stade il ne convient pas de parler de réserves, mais de ressources potentielles », explique De Santa Ana.

Le contrat

La comparaison des déclarations officielles avec les différentes versions parues dans la presse spécialisée, laisse apparaître que les parties manipulent des informations, des attentes et des intérêts pour le moins différents lorsqu'ils ne sont pas opposés. À titre d' exemple, tandis qu'ANCAP soutient que ses recherches ne portent que sur des hydrocarbures conventionnels, l'American Petroleum Institute (API, 15/2) stipule que Schuepbach et ANCAP avancent conjointement dans le développement des schistes.

"La prospection s'est orientée vers les hydrocarbures conventionnels, car il n'y a aucune perspective économique pour les non-conventionnels en Uruguay, et ceci se reflète dans le contrat», explique Santa Ana. Selon l'ingénieur uruguayen les perforations laissent pour l'instant entrevoir la possibilité d'atteindre des hydrocarbures conventionnels, et malgré l'évidence de la présence d'huile et de gaz de schiste, cette alternative ne serait pas économiquement viable.

Pour le gérant d'ANCAP, la recherche est fondamentale, le pays doit connaître ses ressources tant pour des raisons scientifiques que stratégiques. Il ajoute: «Deux ou trois barils d'huile de schiste par jour à un coût d'exploitation de 80 $ USD, ce n'est pas viable. Et le gaz de schiste devrait être à 400 ou 500 dollars le baril pour que son extraction soit rentable. "

Pour finir, De Santa Ana dit parfaitement connaître le thème de l'extraction du gaz de schiste aux États-Unis, et affirme que ni la fracturation ni cette forme de production ne sont autorisées dans les contrats signés par ANCAP. Toujours est-il qu'il nous a été impossible de vérifier le contenu des accords, même en faisant appel à la loi d'accès à l'information publique, parce qu'ils sont couverts d' une "clause de confidentialité".

L'initiative globale des États-Unis.

"Face à une population mondiale croissante et à la raréfaction des combustibles fossiles, le besoin de diversifier notre approvisionnement énergétique se fait urgent. Nous devons compromettre les exportateurs traditionnels et les économies émergentes à parts égales, afin de promouvoir la sécurité énergétique internationale et veiller à ce que la richesse naturelle des pays soit reflétée par une croissance inclusive. "(16 Novembre 2011)

Par ces mots de Hillary Rodham Clinton, les Etats-Unis ont lancé une initiative majeure visant à réaffirmer leur leadership international sur la maîtrise de la fracturation hydraulique pour l'exploitation du gaz de schiste, ainsi que sur le potentiel affecté aux hydrocarbures non conventionnels.

La Secrétaire d'État a annoncé la création en Octobre dernier de l'Office des ressources énergétiques dont la mission est de «façonner la politique internationale de l'énergie des États-Unis, d'influencer les nations en vue d'un avenir énergétique plus propre, et de protéger notre infrastructure ainsi que les itinéraires de transit de l'énergie. "

En Avril 2010, le Département d'État lance l'Initiative Globale du Gaz de Schiste (GSGI) avec pour finalité « l'aide aux pays cherchant à exploiter leurs ressources non conventionnelles de gaz naturel, afin de les identifier et de les développer de façon sûre et économique" . Les pays de la région invités à participer sont l'Argentine, le Chili, la Colombie, le Pérou et l'Uruguay.
En Août, s'est tenue à Washington la conférence internationale de la GSGI à laquelle ont assisté 17 pays, dont l'Uruguay, afin de débattre de «l'importance du gaz de schiste en tant que carburant à faible teneur en carbone", selon les déclarations de David Goldwyn, le coordinateur du Département d'Etat aux affaires énergétiques internationales.

«La leçon que nous voulons que chacun de ces pays retienne, c'est qu'il est nécessaire ( pour réaliser avec succès les forages requis pour l'extraction du gaz de schiste) de disposer de personnel techniquement compétent et en tout premier lieu de lois et règlements", a précisé Goldwin lors d'une conférence de presse tenue parallèlement à la réunion.

L'un des commentateurs d' EnergyInDepth, publication spécialisée, a soulevé la question de savoir dans quelle mesure ces mêmes leçons pourraient s'appliquer aux États-Unis, connaissant les graves problèmes environnementaux générés par le « fracking » dans le pays. Mais le rôle du Département d'Etat est la politique étrangère et non les affaires intérieures.

Traduit de l'espagnol par Patricia Giancotti.

http://www.observatorio-minero-del-uruguay.com/2012/02/%C2%BFfracking-en-uruguay-ii/

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