TOUS A LA BASTILLE !
Lettre ouverte à Paul-Schoum1
Cher Ami et Camarade,
Tu ne peux imaginer la joie qui m’envahit en ce moment-même. Chaque jour, lorsque je me connecte au site Mediapart et que je m’informe sur les derniers évènements arrivés en France et ses alentours, ce qui me donne ce merveilleux sentiment, c’est le fait de lire tes commentaires et ceux d’autres camarades qui répondent à des chroniques ou bien, à des commentaires d’autres lecteurs. La raison est simple mais très profonde : constater que l’esprit de combat, d’espoir, de compromis, le désir d’unir nos cœurs en un seul, nos poings en un seul et le bras dressé, en démontrant qu’une fois de plus, cher Paul, nous allons à nouveau vers le triomphe de la lutte de toute une vie, ensemble, unis, marchant avec nos drapeaux rouges, celui-là même qui unit tous les prolétaires de toute la planète.
Lorsque j’étais enfant, j’ai eu un maître-instituteur, grand et très mince, vêtu d’un costume qui avait connu des temps meilleur, avec sa chemise impeccable et sa cravate d’un « artiste parisien » (convaincu qu’on la nouait de cette manière). Il touchait un salaire qui en aucun cas était supérieur à celui de nos pères, et pendant toute sa vie, son principal espoir était de marcher dans les rues pavées de Paris, là où justement les révolutionnaires avaient levé les barricades le 18 mars 1871.
Grâce à lui, nous commencions à réciter des poèmes de Victor Hugo, Baudelaire (« La nature est un temple… »), Verlaine, Ronsard (en français, s’il vous plaît !) sans comprendre le sens des vers, mais dans leur voix, nous voyagions pour rencontrer leur « Hélène » et conjointement, l’aimer. Au cours des années que nous avons passé à ses côtés, nous avons découvert et admiré ce pays si lointain, capable de libérer les opprimés, créer tant de beauté, avec cette géographie où dans chaque point sur la carte, il y avait une saveur différente, là où nous étions certains que les hommes conversaient en vers et les enfants, comme nous, écoutaient les violons dans les forêts.
Tu sais ? Lui, dans son célèbre « quart d’heure musical », il posait son violon entre son épaule et son menton, en nous donnant des concerts qui subsistent encore dans nos mémoires malgré le temps et l’espace. Je compris alors qu’il initiait son voyage au pays de ses espoirs, ses paupières fermées, tourné vers la lumière qui venait du nord et sa musique qui inondait les couloirs de cette humble petite école où tout son public gardait un silence sacré. Au terme de chaque interprétation, Paul, cher camarade, nous prenions conscience que nous ne serions plus jamais les mêmes, lorsqu’il nous enseigna que la Beauté était aussi à la portée des dépossédés.
Il nous donna, l’Espoir. Aux gamins des maisons sans radio, à qui il permit d’écouter une autre musique que le chant de leur mère dans leur occupation de ménagère.
Oui, l’Espoir.
Cet homme si grand et mince, avec ce visage qui ne parvenait pas à dissimuler sa profonde tristesse et sa nostalgie, il combattit dans les barricades républicaines contre le fascisme dans son Espagne Rouge, Rouge et Noire, mais l’Espagne Libre. Cet Espagnol qui rêvait de la France et qui nous disait :
« Enfants, la première Grande Révolution est née en France. La seconde Grande Révolution naîtra aussi en France. Peut-être aurez-vous l’occasion de la voir ou de la découvrir sur la distance, mais je vous assure que c’est là-bas que naîtra la démocratie authentique, où le peuple sera maître de son destin et les pères comme les vôtres, sauront être libres de l’exploitation et de la misère, ceux qui obtiendront une fois de plus que la France éclaire à nouveau le Monde ».
Cher Paul,
Nous ne pourrons pas être tous présents physiquement ce 18 mars à la Bastille. Il n’est pas possible de se mentir avec de vaines illusions, bien que cette fois-ci je sois seulement à quelques kilomètres pour unir mon cœur à d’autres cœurs, mon poing à d’autres poings d’autres camarades. Cependant, avec la tristesse semblable à celle de mon maître d’école, je serai à vos côtés à la distance et je me mettrai debout, mon poing en l’air, je chanterai « l’Internationale », j’écouterai le « Temps des cerises », je parlerai avec ma tendresse de toujours à mon aimée et, ensemble, nous rêverons qu’avant de nous en aller, nous vivrons l’Espoir devenu réalité, grâce à vous, camarades, vous qui n’avez jamais abandonné la lutte, que d’autres ont toujours repris notre drapeau quand le compagnon est tombé au combat, vous qui aimez cette France et non pas , en revanche, ceux qui estiment que pour aimer ce pays, il faille obligatoirement être né ici.
Un poète disait ; « Ma patrie se trouve là où se trouve mon foyer ». Ces mètres carrés sont ma patrie, où sont nés mes enfants, où j’ai continué à combattre et à rêver : ici, en France.
Grâce à mon instituteur républicain, qui nous a légué son combat et son amour, à nous, les fils des « barbares » qui ont aussi combattu au moment opportun dans leurs propres barricades au nom de la Grande Révolution des Citoyens, et en d’autres lieux.
Ce 18 mars, nous reprendrons symboliquement la Bastille.
C’est maintenant au tour de nos fils de rassembler nos drapeaux de lutte et élargir aux camarades qui se réuniront sur les pavés de la Bastille, armés du vote dans une main et du poing en l’air de l’autre pour saluer l’Espoir. Et comme hier, je citerai à nouveau le poème de Neruda à son Parti :
« Tu m’as donné la fraternité envers celui que je ne connais pas.
Tu as ajouté à mon corps la force de tous ceux qui vivent.
Tu m’as donné la liberté que ne possède pas le solitaire.
Tu m’as appris à allumer, comme un feu, la bonté.
Tu m’as donné la rectitude qu’il faut à l’arbre.
Tu m’as appris à voir l’unité et la variété de l’homme.
Tu m’as montré comme la douleur de l’individu meurt avec la victoire de tous.
Tu m’as appris à dormir dans les durs lits de mes frères.
Tu m’as fait bâtir sur la réalité comme on construit sur une roche.
Tu m’as fait l’adversaire du méchant, tu m’as fait mur contre le frénétique.
Tu m’as fait voir la clarté du monde et la possibilité de la joie.
Tu m’as rendu indestructible car grâce à toi je ne finis plus avec moi. »
Reçois toutes mes amitiés, Camarade !
Mowi