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Billet de blog 26 octobre 2012

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LES VOIX DANS LES PEUPLIERS

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

                                                                                                                                             A Paul, mon ami SCHOUM1

Il y a des jours où je m'arrête pour converser avec le Cygne Veuf, ici, au rivage de la Moselle, en observant de quelle façon la Nature récupère peu à peu des anciennes cokeries négligées, laissant une terre empoisonnée qui monte jusqu’à la sève des arbres, sans avoir pu les assassiner totalement.

Plus loin, les fours anciens s'éteignent les un après les autres et les sidérurgies anciennes se transforment en squelettes où, certes, personne ne veut les observer.

Personne n’aime rendre visite aux mourants.

En d'autres occasions, la Carpe de taille énorme me salue d'un saut qu'actuellement il m’est impossible de réaliser, même pas appuyé sur ma canne et sur mes souvenirs de gamin.

Comment vas-tu ma Carpe d'Or ?

Mais voila qu’il joue dans les profondeurs de la rivière et il ne m'écoute pas. Je n'ai jamais eu l'occasion de finir de le saluer qu’il était déjà retourné à son refuge.

Cependant, il le sait : il y a des années que nous nous envoyons des messages d’amitié.

Jour après jour, j'ai découvert le nom des fleurs sauvages dans ce pays qui hier m’était étranger ; constater le retour des chardons qui avaient disparu, les cerisiers qui s'illuminent de flocons de neige en plein printemps, les peupliers qui reprennent les voix que le vent m'apporte depuis l'autre hémisphère, là-bas, où les miens ont disparu et à qui je n'ai pas eu l'occasion de leur dire combien je les aimais.

Le vent ramène les voix du passé, les nuages ses visages inoubliables, les tempêtes avant inconnues me rappelle à la mémoire les jours difficiles de ces années antérieures pleines d'espérance, détruites par ceux qui avaient juste le courage des lâches pour assassiner un peuple désarmé.

 C'est une mémoire qui persiste aussi dans ce pays et qu'aujourd'hui j'aime tant.

Au bord de la Moselle, j’observe le voyage des jars sauvages vers le sud, les hirondelles abandonner leurs nids, les bandes d'oiseaux qui vont là où jamais plus je n’irai, là où la langue des tendresses ne requiert pas de traduction, il suffit de se regarder dans les yeux, de se serrer dans les bras, nous dire "tu m'as tant manqué, mon ami !".Puis, nous parlerons de nos rêves que nous n’avons pas oublié, les batailles perdues une fois et encore, notre espoir infatigable, notre joie d'aller vers d'autres camarades, vers ce qu'au fond de nos esprits il est réalisable : construire unis pour la joie future des nôtres.

Et alors que je marche difficilement sur les bords de la Moselle, avec mes vieilles chaussures si difficiles à dompter, ma bien-aimée rit quand j'invente des histoires incroyables, je lui mens sur un avenir impossible, je lui énumère les fleurs qui sont apparues entre une promenade et une autre, le nouveau peuplier qui vient de pousser, ce chêne nain qui ne veut pas croître parce qu'il a déjà découvert que la beauté de l'enfance se perd dans la maturité. Ou bien, je la prends par la ceinture et lui dis à voix basse, en murmurant : "Tu es plus belle que jamais, plus belle, plus belle encore…". Et je la regarde avec les mêmes yeux d'il y a cinquante ans en arrière, de sorte que même aujourd'hui ses joues rougissent d'une candeur infantile.

Je ris et elle se fâche.

La Moselle, lorsqu’elle est née, était une ligne imperceptible dans la terre vosgienne. Elle n'atteindra jamais la mer avec le même nom, elle se mélangera à d'autres eaux, se joindra finalement à un fleuve encore plus important, et celui-ci, quand il atteindra la mer, sera le produit d’un tout, comme mes propres petits - fils et mes petites - filles.

 Bientôt, nous entrerons dans notre hiver. Je sais que je ne reverrai pas mes cerisiers fleuris, ni même le retour de mes jars sauvages ou mes hirondelles pendre leurs nids sur les avant-toits de ma maison. Je ne pourrais plus converser avec le Cygne Veuf qui continuera d'aller d’un côté à l’autre, en se laissant mourir peu à peu de tristesse. Ma Carpe Dorée croira que je suis devenu un idiot orgueilleux qui ne veut plus la saluer.  L’Homme-Seul, de l'autre côté du fleuve qui pêche sans un ver à l'hameçon, continuera de se demander ce qui a pu arriver à cet homme toujours dans les bras de cette dame, qu’il voit parfois se promener toute seule et qui est devenue folle en parlant au cygne et qui donne les "bons jours" aux poissons qui sautent à son passage.

A ma bien- aimée, le vent dans les peupliers, les nuages, continueront de lui raconter mes rêves.

Alors, elle sourira.

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