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Billet de blog 6 septembre 2016

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Cater-pilleur!

Caterpillar annonce un plan de "restructuration", terme technico-anodin pour faire passer cette opération comme une nécessité et non comme un cadeau de fin d'année anticipé aux actionnaires du géant américain fabricant d'engins de construction. Environ 10.000 salariés de cette entreprise de par le monde vont être licenciés.

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En Belgique, il s'agit de 2.200 personnes, mais par effet de domino, des entreprises sous-traitantes vont être impactées et probablement mettre la clé sous le paillasson. En tout, on estime que 5.000 personnes environ vont perdre leur emploi. Pour un pays comme la Belgique, ce n'est pas rien.

Si la colère est mauvaise conseillère, l'indignation est salutaire. Alors, allons-y, indignons-nous!

Résultats financiers de Caterpillar pour l'année 2014: 535 millions de dollars de bénéfices nets. 

Résultats financiers de Caterpillar pour l'année 2015: 460 millions de dollars de bénéfices nets. 

Résultats financiers de Caterpillar pour le premier semestre 2016: 202 millions de dollars de bénéfices nets. Plus de détails ici.

Je vous fais grâce des autres résultats, après tout, avec un peu de cynisme, on pourrait dire en résumé que le plus important c'est ce qu'il reste dans votre poche lorsque vous avez payé toutes vos charges... à condition, pour le cas de Caterpillar, d'avoir de grosses poches.

Caterpillar, selon Forbes, est la 122e plus importante entreprise mondiale. Je répète: la 122e plus importante entreprise mondiale!

En cherchant brièvement sur le net, en tenant compte de multiples estimations, on arrive à un chiffre d'environ 250 millions d'entreprises dans le monde. Caterpillar, 122e? Pas précisément un poids coq!

Comment peut-on dès lors expliquer qu'un tel géant, continuellement en bénéfices en pleine récession financière, peut se débarrasser de 10.000 emplois d'ici 2018?

La réponse est à la fois très simple et très classique et se résume en un seul mot: actionnaire! A titre d'exemple, Bill Gates, actionnaire de Caterpillar, a perçu environ 30 millions de dollars de dividendes en 2014. Une goutte d'eau dans l'océan de sa fortune estimée à 82 milliards de dollars. 

Tout ça pour une seule tête de pipe? Oui, tout ça pour une seule tête de pipe. Pendant ce temps, Mère Thérésa est sanctifiée par le pape François. La brave sainte a bien mal choisi sa vocation dès lors qu'on considère l'appât du gain comme une occupation centrale dans ce bas monde. 

Mais soit, si l'on compare les résultats financiers de Caterpillar avec les marges bénéficiaires de ses actionnaires, on s'aperçoit que ceux-ci sont en baisse. Rassurez-vous, lesdits actionnaires vont bien, merci pour eux! La dégringolade n'est pas pour demain, ni pour après-demain. Et même si Caterpillar devait faire faillite dans un mauvais film de science-fiction, on sait bien que l'Etat américain engagerait les deniers publics pour garantir les revenus des cols blancs, d'une façon ou d'une autre. On l'a bien fait pour les banques, non? La moutarde vous monte au nez? Moi, c'est la nausée qui me monte à la gorge. 

Bref, revenons à nos moutons, ou à nos ouvriers de Caterpillar. Et à ceux qui les défendent. Ou qui le font croire.

Depuis l'annonce du plan de restructuration, les gouvernants et responsables politiques belges sont partis dans un attendrissant concert de pleurs et de grincements de dents destinés sans doute à rassurer la ménagère sur le reste d'humanité qui les anime: 

- Charles Michel, 1er ministre: "Une décision brutale et un drame social." ou: "Avec Caterpillar, on atteint les limites du système."

Petit rappel: Charles Michel fait partie du MR, parti libéral de droite. Tout comme Didier Reynders. Ce dernier est l'instigateur avec un banquier célèbre, Bruno Colmant, des intérêts notionnels. En 2014, grâce à (ou à cause de) ces intérêts notionnels, Caterpillar a profité de 61 millions d'Euros d'avantages fiscaux. Atteintes, les limites du système? Elles sont allègrement franchies. Va-t-on demander aux Américains de rendre ces 61 millions? Et puis quoi encore? Le sourire de la crémière? Charles Michel qui trouve des millions d'Euros pour placer des caméras un peu partout en Belgique (voilà qui va sûrement stopper les djihadistes, houu j'ai peur!), mais qui ne bouge pas le petit doigt devant de telles "restructurations" de carnaval. Parler est inutile, M. Michel, votre boulot, c'est de protéger le peuple. Les gens votent pour ça.

- Paul Magnette, ministre-président wallon, bourgmestre de Charleroi où se situe Caterpillar Belgique (Gosselies), dénonce, quasi la larme à l’œil, un "dépeçage organisé". Ce cœur d'artichaut socialiste (PS) a la mémoire bien courte. En tant que ministre des entreprises publiques (avec la SNCB sous sa tutelle) sous la législature précédente, c'est lui qui a organisé le début du dépeçage du groupe SNCB en tuant la SNCB Holding, garante d'une unicité statutaire pour la SNCB en tant que transporteur et Infrabel en tant que gestionnaire d'infrastructure. La nouvelle structure de la SNCB et d'Infrabel permet à terme une privatisation plus facilitée de ces deux entreprises publiques. Pas vraiment une politique sociale. 

- Elio Di Rupo, président du PS. Encore une grande pleureuse qui jure ses grands dieux qu'il défendra les travailleurs de Caterpillar. Il dénonce "la manière inhumaine utilisée par le patron de Caterpillar pour annoncer la catastrophe sociale", témoignant à ses yeux d'un "mépris insupportable". La réalité pourtant, c'est qu'en tant que premier ministre sous la précédente législature, il déclarait en mars 2013: "Nous devons comprendre comment cette usine qui est une véritable 'Rolls' comme entreprise se trouve en difficultés. Elle réunit donc tous les paramètres qu'on évoque généralement lorsqu'on parle des conditions pour assurer la compétitivité et pourtant Caterpillar connaît des problèmes de compétitivité." Bref, Di Rupo acquiescait: Caterpillar va mal. En effet, il faut "restructurer". 

Or, comme je l'ai dit ci-dessus, Caterpillar est bénéficiaire. La vérité, c'est que Di Rupo n'a jamais pensé social. Pendant son mandat de 1er ministre, des dizaines de milliers de personnes ont été exclues du chômage. Un autre drame social dont il est le premier responsable et qu'il a cherché à minimiser par la suite, faisant croire qu'on l'y avait forcé. Pas glorieux, Elio!

La vérité toujours, c'est que les dirigeants politiques belges sont à la botte, quasi consentante, du monde industriel et du monde financier. Jamais ils ne cherchent à défendre le peuple, les travailleurs, les petites gens pour qui chaque licenciement est une catastrophe sociale, un drame humain. Il s'agit bien plus que des mots lâchés par des politiciens en costume cravate avec un sens de la persuasion aiguisé devant des caméras en recherche de discours chocs: les travailleurs de Caterpillar aujourd'hui, comme ceux d'Arcelor Mittal hier, comme ceux de VW Forest, de Renault-Vilvoorde, de Ford-Genk, de la Sabena, de Cockerill et tant d'autres avant-hier se demandent comment finir leur mois. Tant de précédents avant Caterpillar pour lesquels le monde politique belge n'a même pas bougé le petit doigt. Que de mots! Que d'hypocrisie!

Quel homme politique va enfin oser mettre les industriels au pas, comme Roosevelt l'avait fait aux USA? Preuve que c'est possible! Quand on dispose du pouvoir exécutif, on ne peut pas se plaindre devant les caméras et puis fuir ses responsabilités une fois la TV et Internet éteints. L'éthique chez nos dirigeants est décidément un vain mot. C'est peu de dire que le social n'a pas la priorité dans ce pays et ailleurs. Faut-il pourtant qu'il en demeure ainsi? Il me semble que le courage politique consisterait à déployer un bouclier légal et social permettant à l'Etat de traîner en justice les entreprises bénéficiaires qui licencient sans raison valable (le bonus toujours plus élevé des actionnaires ne constitue pas un argument recevable). A commencer par le remboursement des cadeaux fiscaux. 

Quand 2.200 personnes d'une entreprise perdent leur emploi tandis qu'un actionnaire de cette même entreprise empoche 30 millions d'Euros, il y a là un cynisme inacceptable contre lequel le législateur ne peut demeurer insensible et inactif.

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