Avant aujourd’hui, je n’avais jamais lu Charlie Hebdo. Enfin si, quand même ! Mais uniquement à travers d’autres magazines, ou d’autres quotidiens. Ou même à travers le JT à la TV.
Et là, je me faisais une opinion sur Charlie Hebdo : « C’est vrai ! Ils exagèrent un peu. Ce sont des provocateurs, ils cherchent quand même un peu la merde. C’est parfois drôle, mais pas toujours et il ne faut pas offenser les croyants ! »
Gros con que je suis ! Non, mais vraiment : pitoyable abruti, n’as-tu donc rien appris ? 43 ans et il faut encore qu’on t’explique.
Pendant 4 ans, j’ai suivi les cours de communication appliquée à l’IHECS, j’ai étudié le journalisme, avec des gens qui m’ont ouvert l’esprit et m’ont enseigné la façon de s’exprimer à différents niveaux, de manier la polémique en édito, ou d’analyser telle problématique en article de fond. La déontologie et la censure préalable certes, mais aussi la liberté d’expression, le droit de dire et d’écrire son opinion. Le maelstrom d’idées qui s’entrechoquaient à longueur de cours et de discussions à la cafétéria ont fait de moi un défenseur de la liberté et de la démocratie et un adversaire de tous les censeurs. Enfin, je le croyais. Je dois mal vieillir.
Heureusement aujourd’hui, j’ai lu Charlie Hebdo. Dans son ensemble, dans son entièreté. De A à Z. Chaque article, chaque ligne, chaque mot. Surtout j’ai zyeuté chaque dessin, chaque caricature, chaque histoire en images (car il y en a aussi). Et j’ai adoré.
L’édito (pp. 2 et 3) est un modèle de tolérance et d’ouverture. Vous devez le lire ! Démerdez-vous, mais lisez-le. Cet édito incarne l’épitaphe sans doute de tous ces scribouillards assassinés qui n’ont jamais voulu qu’une chose : rire de tout et dénoncer tous ces « braves » gens qui nous polluent l’atmosphère : politiciens corrompus, religieux censeurs et bouffeurs de laïcs, donneurs de leçons fascistes de café de commerce, patrons et banquiers exploiteurs. Bref, tout ceux qui font de notre monde une place de moins en moins agréable à vivre. Comme le dit feu « Oncle Bernard » (alias Bernard Maris, économiste brillant qui a démonté les théories fumistes des néo-libéraux) dans le dernier Charlie paru : « La politique de Charlie est non violente et non haineuse. Elle est gaie. Elle se veut ainsi. Aucun problème politique ne doit résister à un bon rire. Riez, amis, riez. Il paraît qu’au moment d’être fusillé, Cavanna rigolait. »
J’ai adoré donc, mais j’ai surtout compris. Compris que Charlie, en publiant les caricatures de Mahomet, dénonçait ceux qui, en son nom, ose tuer autrui. Ose s’arroger le droit à la violence au nom d’un Dieu. Ose annihiler tout qui ne pense pas comme eux ou se dit laïc. Ose massacrer des innocents (y compris femmes et enfants) parce qu’ils pensent différemment. Charlie apporte le remède.
J’ai compris donc et je me suis souvenu. Je me suis souvenu qu’à l’époque de l’IHECS (20 ans tout de même), je racontais des blagues sur le cancer. Combien de fois n’ai-je pas raconté la vanne du Christ crucifié qui prononce : « Vite un clou, je glisse ! » N’avais-je point commis un syllabus parodique qui se foutait éperdument de la gueule des profs? Enfin pas tous… Avec les potes, on réclamait notre droit à rire de tout, même si c’est vrai qu’on s’est posé parfois la question : « Peut-on rire de tout ? » N’importe quoi ! Bien sûr qu’on peut rire de tout et même avec n’importe qui. Même si ça peut depuis le 7 janvier 2015 nous mener directement au cimetière. Tout est une question de timing et d’à propos.
Alors voilà, je dis merci aux trois djihadistes flingueurs à la kalach’ d’avoir buté Charb’ et les autres car sans cela, je n’aurais sans doute jamais lu Charlie. Et je serais resté un gros con, un pitoyable abruti, enfermé dans son déni de rire de tout.
Alors, allez-y ! Non vraiment : allez-y ! Foutez-vous de ma grande gueule de donneur de leçons ! Dites-moi que lorsque je parle avec l’index levé pour asséner des vérités préconçues, personne ne m’écoute. Insultez-moi de connard de Belge, de cyclotouriste de kermesse qui pédale comme un sot ! Invectivez-moi en affirmant que ma mère taillera des fellations à la chaîne en enfer et que mon père est un alcoolique violent (et gauchiste !). Que je pue de la gueule et que je suis vraiment, mais alors vraiment, très con quand je bois. Du moment que ce soit drôle et bien placé, ça passera ! On rira ensemble.
Car l’humour constitue ce qui nous sauvera de cette morosité généralisée. De surcroît, le rire est bon pour la santé. Le rire est un antidote au stress, fait mieux dormir, réduit l’anxiété, la tension artérielle et les problèmes cardiaques. Il permet aussi à vos amis d’admirer vos caries, le caséum de vos amygdales (pour ceux qui comme moi n’en aurait pas subi l’ablation), sans oublier le numéro de vos chaussures. Mais surtout, il rassemble, alors que la façon dont la vie en général est organisée par nos chers gouvernants, nous divise.
Riez, amis, riez ! Merci Oncle Bernard ! Merci Charlie !
Mr Wang