La lettre des artistes pour Gerard Depardieu n’est pas une lettre anodine, d’amis apportant leur soutien au comédien. C’est le révélateur d’une rupture sociétale, liée au rapport au pouvoir, à l’égalité et à la démocratie.
Deux conceptions s’affrontent, celles des « puissants » et celles des « servants ».
Dans le camp des « puissants », on retrouve les « puissants » eux-mêmes, leurs admirateurs et les cupides. Les « puissants » pensent que le statut social, la richesse, le pouvoir, le prestige leur autorisent à posséder les corps des autres sans leur consentement. Leurs admirateurs n’ont pas le pouvoir, mais rêvent de l’avoir pour pouvoir faire comme les puissants (cas Berlusconi). Les cupides, pour qui la perspective de gain important, justifie tout : « tu peux violer ma fille tant que tu en fais une championne », « Gerard peut te tripoter, il nous rapporte beaucoup d’argent ».
Pour eux, il y aurait ceux qui ont le pouvoir, et qui peuvent tout, et ceux qui n’en ont pas, qui devrait tout accepter. Le pouvoir de certains annihilerait l’autonomie des autres.
Comme si le pouvoir, la célébrité, l’argent permettraient de s’extraire des lois. Ils pensent que :
- Parce qu’ils sont riches, ils auraient le droit de nous acheter.
- Parce qu’ils sont élus, ils auraient le droit de nous voler.
- Parce qu’ils sont célèbres, ils auraient le droit de nous violer.
- Parce qu’ils détiennent l’autorité, ils auraient le droit de nous tuer.
Il y aurait donc une justice pour la plèbe, une pour les puissants et leurs représentants. Il y aurait une justice pour les Français et une pour les étrangers. On deviendrait une société de castes : les puissants, les français et les étrangers. Certains le prônent déjà dans leur programme politique et la loi immigration est en train de le graver dans la loi.
Je ne pense pas que les auteurs de la lettre pour soutenir Depardieu ont conscience d’être les fossoyeurs de l’égalité. Ce reconnaissent-ils dans les policiers assassins qui parjurent et ne veulent pas être jugé, les ministres et anciens présidents qui veulent une justice d’exception pour eux, les élus qui enfreignent les lois qu’ils font votés. Non, certainement pas, mais ils véhiculent la même idéologie : une justice différente pour eux.
De l’autre côté, on aurait les « servants », qui dans la rue, au travail, en politique et dans le sport devrait tout accepter.
Mais depuis le mouvement #MeToo et le covid, les choses ont changé.
Tout d’abord, une nouvelle génération est arrivée.
- Qui n’a plus peur du chômage, car elle en vient et y retournera.
- Qui a des valeurs, et que les perspectives de gain financier, même dans la galère, ne justifient pas tout.
- Qui ne supporte plus l’injustice et l’inégalité.
- Qui veut du sens dans ce qu’elle fait.
Ensuite, avec le Covid, chacun s’est posé la question du sens du travail, de la vie. La conséquence, c’est des démissions massives : 20 % des Américains ont quitté leur travail. Dans le monde du travail, les comportements ont changé. Un management par trop autoritaire, une structure sans sens sociale et écologique, et les meilleurs éléments partent. Le pouvoir peut durcir les conditions de chômage. Cela n’y change rien.
Les « servants » veulent une nouvelle relation au pouvoir. Ils ne sont plus prêts à accepter les harcèlements physiques et moraux. Ils veulent de la bienveillance, de la justice et de l’égalité.
Il y a une fracture qui dépasse les clivages gauche/droite et qui est mondiale. Le camp des conservateurs pour qui le pouvoir justifie tout est bien présent dans les médias, la politique et l’espace public.
Quant au camp des progressistes, qui limiterait les inégalités, qui mettraient en place des contre-pouvoirs, et proposerait un monde moins injuste. On ne l’entend qu’en réaction, dans des dénonciations.
Pourtant, nous aurions bien besoin de l’entendre, nous proposer un autre monde.