Suite à la médiatisation de ce témoignage, Caro pourra rester dans son école. Le rectorat et le maire de sa commune déclarent « l’avoir toujours soutenue » et ne comprennent pas.
24/07/2024
Une maîtresse à la montagne, c’est comme une maîtresse à la ville, ou une maîtresse à la campagne. Ça fait son travail, son job de maîtresse. Et Caro c’est une maîtresse. Une maîtresse à la montagne, qui tous les matins a devant elle, une poignée de petits, une pincée de moyens, et une goutte de grands.
Caro, c’est une maîtresse qui aide les petites mains à tenir leur premier crayon pour transformer la feuille blanche en œuvre d’art qui s’affichera sur le mur du couloir le jour même. Caro aide les moyennes mains à suivre du doigt les premiers mots qu’on annone le regard fier et le sourire aux lèvres le soir sur la table de la cuisine. Et Caro, elle soutient les grandes mains qui jouent du rapporteur et du compas. Caro, elle sait faire tout ça en même temps et elle le fait bien. Chaque jour elle recommence avec le même plaisir parce qu’elle a choisi son métier. Chaque jour elle y va parce que son métier elle l’aime.
Mais le métier d’une Caro, maîtresse à la montagne, c’est aussi être seule pour tenir les mains sur la cour de récréation, être seule pour soigner les bobos, seule pour consoler les gros et petits chagrins. C’est être seule pour répondre au téléphone, passer les commandes, ouvrir et fermer les portes, remplir les tableaux, les enquêtes. C’est être seule pour appeler le chauffeur du bus, la secrétaire de mairie, le représentant de matériel scolaire, le collège de secteur. C’est être seule pour vérifier des fiches, compléter des bordereaux.
Être une Caro, maîtresse à la montagne, c’est être seule dans son école, mais être bien parce que son métier, elle l’aime.
Mais Caro, elle n’est pas qu’une maîtresse à la montagne. Et ça aussi c’est chouette.
Caro, elle est heureuse à la montagne. Heureuse parce qu’elle a dans sa main, une autre main. Une main qu’elle a choisie. Et le soir, chez elle, sur sa main à elle, elle sent la chaleur de cette autre, sa délicatesse, sa légèreté. La douceur d’une main contre sa main à elle. Parce que Caro, elle, elle n’aime pas les mains velues, les mains viriles.
Alors oui Caro est amoureuse, amoureuse d’Elle. Et pour elles la vie est belle à deux.
Seule ça va, deux ça va… mais….
Mais dans sa montagne à Caro, cette main dans sa main, ça dérange, ça gratouille, et puis un jour ça graffite.
Ça écrit des mots sales, sales comme des mains que l’on n’aurait pas lavées, sales comme des mains ne devraient jamais avoir appris à les écrire ces mots.
Et ce matin, Caro, maîtresse à la montagne, devant le mur de son préau, elle se sent salie. Salie, parce que la main dans sa main ne serait pas du bon sexe. Cette main si douce, cette main qu’elle aime.
Mais ça a un sexe une main ?
Alors Caro, seule, a pensé qu’on viendrait l’aider à nettoyer ces mots sales, qu’on serait là pour elle, avec elle. Parce que Caro, seule à la montagne, pensait qu’elle n’était pas si seule.
Mais si, Caro est seule dans sa montagne. Demain, elle sera loin de là, loin de son école, loin de ses petites, moyennes et grandes mains, loin de son préau tout propre. Demain les mots sales auront gagné, parce que personne n’est venu se battre pour Caro, avec Caro. Parce que les gens dans les bureaux, loin de la montagne, préfèrent le silence des mots.
Parce qu’à la montagne, dans les bureaux, on n’aime pas les vagues, Caro va devoir naviguer loin de son école.
Loin de son école mais toujours près d’Elle.
Et ça les mots sales n’y pourront rien changer. »
Caro a été obligée à quitter son école de montagne. On lui parle d’un poste de remplaçante, pour qu’elle change d’école régulièrement, pour que les vagues ne la suivent pas. Aujourd’hui, elle a du vider sa classe de ses affaires personnelles et elle ne sait pas où elle sera à la rentrée.