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Billet de blog 22 mai 2025

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Tout-sécuritaire : appel à dérailler

À deux ans de l’élection présidentielle, la compétition s’affûte à la droite de l’échiquier politique autour de la doctrine sécuritaire, jusqu’à réhabiliter le bagne. À l’international, le besoin de protection des populations est instrumentalisé pour justifier les guerres. L’obsession pour la sécurité est surtout devenue le meilleur carburant de l’insécurité. Comment dérailler de cette trajectoire mortifère ? Quel rôle pour les médias ?

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Pour Bruno Retailleau, Laurent Wauquiez, Edouard Philippe, Gérald Darmanin, Marine Le Pen ou Jordan Bardella, une société de plus en plus violente appellerait une doctrine sécuritaire musclée. On liste les incivilités, on parle d’ « ensauvagement » de la société[i], on justifie le surpeuplement des prisons[ii], on remet le bagne au goût du jour[iii].

Pourtant, lister les incivilités a surtout tendance à créer un climat de paranoïa qui alimente les violences[iv]. La volonté d’aller vers le zéro risque, et donc vers le tout-contrôle, nourrit d’abord une négation du droit[v]. On sait aussi que les prisons deviennent des écoles de la criminalité[vi],[vii]. Ne sommes-nous pas en train de confondre cause et symptôme quand il s’agit de sécurité ? Un peu à la manière d’Ivan Illich, quand il disait que « la médecine est l’alibi d’une société pathogène » (par exemple, quand les anxiolytiques autorisent le surmenage). Le tout-sécuritaire n’est-il pas en train de fragiliser notre société ?

La volonté de sécurité est instrumentalisée par les obsédés du pouvoir, certes. Mais la sécurité est aussi un besoin essentiel, d’où le succès de son instrumentalisation d’ailleurs. Pour sortir de ce cercle vicieux, peut-être devrait-on se réapproprier la notion de sécurité. Pour cela, faisons un détour par la biologie. Souvent présentée comme un milieu violent fait de prédateurs et de proies, la nature a longtemps servi le contre-discours d’une civilisation pacificatrice, éloignée de l’animalité et de sa violence. Pourtant, outre notre histoire violente et les multiples conflits géopolitiques contemporains, notre civilisation fait une guerre brutale aux écosystèmes, jusqu’à menacer la viabilité de l’humanité sur Terre à court terme. Manifestement, nous avons été bien trop optimistes !

Par ailleurs, en regardant mieux le vivant, notamment grâce à l’analyse systémique, on trouve aussi « l’autre loi de la jungle »[viii] : les êtres vivants ont plutôt tendance à coopérer dans les turbulences. La plupart des écosystèmes font face à de fortes perturbations (tempêtes, sécheresses, inondations, gelées hivernales, etc.) et pour y répondre, ils ne luttent pas à mort individuellement contre les autres, en général ils coopèrent. La prévalence des symbioses en est certainement l’exemple le plus évident.

Alors si la coopération est un principe central de viabilité et de paix, pourquoi n’est-il pas plus largement diffusé dans nos sociétés ? Qu’avons-nous raté ? Retournons à la planche à dessin avec les biologistes. Que trouve-t-on d’autre dans la nature ?

La robustesse. Les êtres vivants sont stables malgré les fluctuations. Pensez à un arbre dans le vent (robuste à court terme) ou pendant les quatre saisons (robuste à plus long terme).  Comment font-ils ? Pour être plus robustes, les êtres vivants sont peu performants. Ils ont des trajectoires plurielles et inefficaces (pensez au vol de la mouche) ; la diversité des chemins ouvre l’espace de viabilité par une plus grande adaptabilité. Ils donnent aussi l’essentiel de leurs ressources à leur milieu (pensez aux feuilles de l’arbre qui tombent à l’automne) ; cela nourrit la robustesse de l’écosystème, qui en retour nourrit les individus et leur apporte de nombreux filets… de sécurité. 

Finalement, cet autre visage de la nature nous offre un contre-modèle systémique et apaisé, comme dans un billard à trois bandes : on ne répond pas à l’insécurité par plus de sécurité ; on crée plutôt les conditions de la robustesse, en allant contre la performance et la compétition. 

Comment décliner cette leçon de viabilité sécurisante dans nos sociétés ? Agroécologie, tout-réparable, conventions citoyennes, habitat partagé, sciences citoyennes, politiques sociales, etc. Ces approches sont souvent plus exploratoires, moins performantes, mais plus robustes dans la durée, car capables d’encaisser les chocs. Elles créent aussi les premiers kilomètres de la démocratie, et ancrent la participation citoyenne dans son lien vivant au territoire. Avec la robustesse, il s’agit de ré-enchanter le risque en construisant une société qui vit avec les fluctuations, et non contre elles. Émanciper les citoyens, plutôt que les gouverner par la peur.

Notre civilisation de la performance alimente une culture de la violence. Contre les femmes, contre les plus vulnérables et contre les écosystèmes. Nos sociétés suroptimisées sont devenues très fragiles, sur tous les plans. Services publics, infrastructures électriques, droit international… tout craque. L’épidémie de burnout des humains est la partie émergée d’un burnout global : social, géopolitique et écologique. Répondre à cette insécurité par le bras sécuritaire, c’est aggraver les causes en instrumentalisant les symptômes. Inutile d’ajouter que ce principe va bien au-delà des discours toxiques de la droite française : les politiques des gouvernements Netanyahou, Poutine, Erdogan, etc. s’articulent toutes autour de cette dynamique machiavélique. 

Plutôt que promettre le bagne, créons des contextes socio-éducatifs de réinsertion, faisons de l’accueil de la diversité une école de la robustesse démocratique, construisons les conditions de la viabilité sociale, écologique et économique des territoires. Surtout, reconquérons la notion de sécurité en déminant la contreproductivité crasse d’un discours polarisant par, et pour, la violence. La sécurité demande d’abord la coopération et la robustesse, et donc une distance critique avec la performance et la compétition. 

Comment dérailler donc ? Un premier pas serait pour les journalistes de confronter les politiques fanatiques du tout-sécuritaire à leur propre évangile. Leur prescrire le symptôme, comme dirait les psychanalystes. Aller dans leur sens pour qu’ils se ringardisent tout seul. Cette tribune est donc une forme d’appel aux acteurs médiatiques : saisissez-vous de la pensée systémique pour démontrer en quoi les solutions les plus musclées, souvent les plus simplistes, aggravent les problèmes (changement de type 1, dans l’école de Palo Alto, tout changer pour ne rien changer), alors que des approches plus holistiques, souvent paradoxales, sont souvent nettement plus transformantes dans la durée (changement de type 2) : « Le problème n'est pas dans l'individu, mais dans le système dans lequel il évolue » (Grégory Bateson)

Le premier rôle du politique devrait être d’éviter la guerre civile. Dans un monde en pleine turbulence, la doctrine du tout-sécuritaire alimente d’abord la dépendance à un dictateur bienveillant et protecteur. Une tactique aussi toxique qu’opportune pour les fanatiques du pouvoir, en France et ailleurs. Le contraire de la robustesse. Le tout-sécuritaire est surtout l’alibi des pyromanes de la violence.

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Olivier Hamant est biologiste, directeur de recherche à l’INRAE, au sein de l’école normale supérieure de Lyon et de l’institut Michel Serres. Il publie Antidote au culte de la performance (Gallimard, 2023) et De l’incohérence – Philosophie politique de la robustesse (Odile Jacob, 2024).

[i] https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/05/18/edouard-philippe-affiche-sa-fermete-sur-les-questions-de-securite-dans-un-meeting-a-marseille_6606595_823448.html

[ii] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/05/19/les-incoherences-de-gerald-darmanin-face-au-scandale-des-prisons-surpeuplees_6607151_3232.html

[iii] https://www.lemonde.fr/societe/article/2025/05/18/gerald-darmanin-prevoit-l-ouverture-d-une-prison-de-haute-securite-dans-la-jungle-guyanaise-d-ici-2028_6606599_3224.html

[iv] https://www.liberation.fr/debats/2015/09/14/anne-dufourmantelle-la-securite-engendre-plus-la-peur-que-l-inverse_1382441/?redirected=1

[v] https://blogs.mediapart.fr/observatoire-international-des-prisons-section-francaise/blog/040325/loi-narcotrafic-quand-la-paranoia-securitaire-justifie

[vi] https://www.lemonde.fr/culture/article/2012/08/09/la-prison-est-toujours-l-ecole-du-crime_1744261_3246.html

[vii] https://www.mediapart.fr/journal/france/231116/prisons-peine-perdue

[viii] Chapelle, Servigne – L’entraide, l’autre loi de la jungle

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