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Billet de blog 23 février 2017

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«Angry Inuk», colère froide

Je n’aurais jamais pensé un jour prendre la défense des chasseurs de phoques. Privés de voix au chapitre bien que premiers concernés, traités comme une peuplade primitive ayant besoin d’être chaperonnée, les Inuit sont en colère. « Angry Inuk » fait voler en éclat les préjugés et révèle une réalité consternante.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

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Je n’aurais jamais pensé un jour prendre la défense des chasseurs de phoques. Comme à peu près tout le monde, j’ai toujours entendu cette pratique décrite comme barbare, injustifiée et pouvant mener à l’extinction de l’espèce. D’intensives campagnes de sensibilisation, menées par des associations de défense des animaux et quelques célébrités depuis les années 1970 ne nous ont laissé aucun doute à ce sujet. Chasse et vente de produits dérivés sont, suivant les pays, sévèrement règlementés ou totalement interdits. Seule exception, les Inuits, (au singulier, Inuk) à qui cette chasse reste permise, en tant que base de leur mode de vie et essentielle à leur survie.

Tout va bien, donc.

Dommage qu’en près de 50 ans personne ne soit allé demander aux Inuits comment les choses se passent vraiment. Privés de voix au chapitre bien que premiers concernés, traités comme une peuplade primitive ayant besoin d’être chaperonnée, les Inuit sont en colère. L’une d’entre eux, la réalisatrice Alethea Arnaquq-Baril, a décidé de raconter enfin leur histoire. Le documentaire qui en est résulté, « Angry Inuk », filmé entre 2008 et 2015, fait voler en éclat les préjugés et révèle une réalité consternante.

Depuis l’interdiction de la vente de produits dérivés du phoque dans 34 pays, la communauté Inuit vivant dans l’arctique (Canada, Alaska et Groenland), quelque 134 000 personnes, à connu une dégradation spectaculaire de ses conditions de vie, de son indépendance, de son identité, le taux de suicide y a explosé, la pauvreté y augmente sans cesse. Pourquoi, puisque leur droit a chasser est protégé ?

C’est simple, cette protection est inefficace, une simple clause de confort pour consciences occidentales. L’effondrement total du marché des peaux de phoques ne pouvait que les toucher, c’est assez logique quand on y réfléchit : à quoi sert le droit de chasser si les peaux ne valent plus rien, à quoi bon vendre si personne n’a le droit d’acheter, si le marché même n’existe plus ? L’incompréhension de ce phénomène vient de ce que beaucoup se représentent les Inuit comme vivant encore dans des igloos, en marge du marché global, sans lien avec le monde. La vérité est que la civilisation les a depuis longtemps rattrapés. Vivre dans le grand nord, où toute nourriture autre que les animaux traditionnellement chassés doit être importée , et le chauffage fonctionner toute l’année, coûte cher. La plupart des chasseurs de phoques sont Inuit, chassent en famille et en très petite quantité, consomment ou utilisent absolument tout des animaux tués, et ont un besoin vital de l’argent que leur rapporte la vente des peaux. Pas d’argent, pas d’essence pour aller chasser, pas de chasse, pas de nourriture et pas d’argent. Les Inuit ne chassent pas par sport, et respectent leur environnement, animaux compris.

Tout le malentendu repose sur une conception erronée partagée, en toute bonne foi, par la plupart des opposants a la chasse au phoque : elle n’est pas nécessaire, les méthodes sont barbares et les phoques risquent de disparaître. C’est totalement faux. Cette chasse est la condition de survie des Inuit. Au rythme où ils chassent, la population de phoques de l’arctique –et celle des ours, loups, baleines et narvals- ne court strictement aucun risque. Et du point de vue de la barbarie, la mort des phoques –une balle de fusil ou un coup de harpon dans la tête – paraît plutôt civilisée à la lumière des conditions d’élevage et d’abattage scandaleuses pratiquées dans tous les pays industrialisés. Eux au moins, ont eu une vie avant la mort. Nous sommes donc face encore une fois à un monument d’hypocrisie de la part d’hommes blancs riches accusant plus faible qu’eux de travers qu’ils portent eux-mêmes à un bien plus haut degré.

Pour comprendre d’ou vient cette persistante méprise, Alethea Arnaquq-Baril nous fait remonter jusqu’aux années 70, ou une chasse excessive a effectivement lieu dans la région de Terre-Neuve. Difficile d’évaluer la proportion d’Inuit parmi les chasseurs. Il est par contre certain que de nombreux bateaux de pêche industrielle sont présents. Beaucoup viennent d’Europe. Une indignation justifiée s’ensuit, et le message est porté avec succès de par le monde. La chasse aux phoques de moins d’un an est interdite, des quotas et interdictions se mettent en place progressivement. Au point qu’aujourd’hui ce sont les Inuit qui se battent pour survivre, pas les phoques. Pourtant, nous restons sur l’impression du contraire, les lois à l’encontre de la chasse durcissent sans cesse, les campagnes anti-chasse se poursuivent de plus belle. Pour quelle raison ?

C’est là que l’histoire sort de son contexte purement local, et prend un tour particulièrement amer. Le documentaire partage une interview assez savoureuse de Paul Watson, datant de 1978, après qu’il ait claqué la porte de Greenpeace mais avant la fondation de son association Sea Shepherd. Il y révèle entre autres que les campagnes anti-chasse ont généré une telle augmentation de revenu pour Greenpeace, mais aussi l’IFAW, the Humane Society et quelques autres- que celles-ci continuent de présenter la protection des phoques comme un élément central de leur action, alors que tout danger d’extinction est passé. Il explique que d’innombrables espèces sont en danger, que bien d’autres animaux sont traités avec cruauté, mais que rien ne fait affluer les dons comme l’image de ces animaux si attendrissants. Le fait que bannir leur chasse ne demande aucun effort ou changement d’habitudes aux donneurs y est surement pour quelque chose. Watson a depuis recommencé à jouer sur cette corde sensible... Le bébé phoque, c’est tellement plus vendeur que les poulets en batterie ou le colin d’Alaska...

Alethea, son amie Aaju, engagée depuis 20 ans dans cette lutte, ainsi qu’une nouvelle génération de jeunes Inuit, ont a de nombreuses reprises tenté d’engager le dialogue avec les représentants de ces associations. À chaque opportunité de rencontre, ils se sont dérobés, ont annulé manifestations et débats. Leur peur de se confronter aux Inuit ressemble à un aveu, et le mépris et la condescendance qu’ils ont pour eux est à couper le souffle. Petit extrait d’une déclaration de Sonja Von Tichelen, directrice régionale de l’IFAW pour l’UE*:« Nous demandons au gouvernement canadien de revoir la gestion de ses ressources en aidant les chasseurs à s'adapter aux réalités du XXI siècle, au lieu de s'obstiner à défier la volonté démocratique des citoyens européens, qui refusent en bloc cette activité cruelle et absurde". (Les caractères gras sont de moi.) 

La volonté des citoyens européens, voyez vous ça ! Citoyens européens qui s’accommodent très bien de leurs propres coutumes barbares, dont leurs vies ne dépendent pourtant pas, mais qui ne sauraient tolérer celles des autres. J’adorerais connaître leur réaction si un groupe de pression Inuit parvenait à faire interdire le gavage des oies, la chasse au cerf ou les courses de taureaux, pour ne citer que les pratiques cruelles et absurdes qui me viennent immédiatement a l’esprit… Qu’on soit ou non soi-même favorables a ces traditions, je parie sans risque que l’ingérence d’une communauté extérieure et ignorant tout de notre culture suffirait a nous mettre en ébullition.

 Les politiciens, sachant cette cause proche du cœur de beaucoup, ne sont que trop heureux de glaner des points de popularité facile, en votant pour ce que souhaite une majorité bien mal informée.  Une séquence filmée au Parlement Européen est particulièrement révélatrice. On pourrait être tenté de pardonner le mensonge des défenseurs des animaux, mensonge qui génère après tout des fonds leur permettant de poursuivre des actions réellement nécessaires. Mais pas au prix de la déchéance d’une population entière, lentement et injustement asphyxiée. Ce n’est pas si souvent que l’on peut voir fictions et préjugés démontés un par un, ne vous en privez pas. Avec, en prime, la découverte d’une culture et des fabuleux paysages arctiques.

« Angry Inuk » sera projeté ce samedi 25 février à 21h au cinéma Reflets Médicis, Paris 5è, dans le cadre du festival Femmes Cinéma.

Site de la société de production d'Alethea Arnaquq-Baril (en anglais): http://www.unikkaat.com

* Communiqué datant de 2013, cité par maxisciences http://www.maxisciences.com/chasse-au-phoque/chasse-au-phoque-l-039-interdiction-europeenne-approuvee-malgre-la-contestation-du-canada_art31439.html

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