L’enquête publiée par Les Jours sous le titre « #MeToo : Thierry Lounas et Claire Bonnefoy, producteurs accusés d’être des “prédateurs” » met en lumière un mode de fonctionnement où s’entremêlent comportements d’emprise, humiliations et violences sexuelles.
Les nombreux témoignages recueillis décrivent un climat de peur et de contrôle au sein d’une structure qui, en apparence, se présente comme un bastion du cinéma d’auteur exigeant et engagé. Le contraste entre les valeurs affichées — liberté, audace, ouverture — et les pratiques rapportées met en évidence une contradiction profonde : celle d’un milieu qui prône l’émancipation artistique tout en reproduisant des rapports de domination structurels.
Souvent perçu comme un espace alternatif à l’industrie mainstream, le cinéma indépendant français n’échappe pourtant pas aux déséquilibres de pouvoir. Sa réputation d’autonomie et de liberté masque parfois la persistance de dynamiques hiérarchiques et d’abus d’autorité. La précarité des statuts, la dépendance aux financements, l’importance du réseau et la porosité entre sphères professionnelle et personnelle créent un terrain propice à l’abus. Dans un tel contexte, le consentement devient une notion relative, fragilisée par la peur de perdre un emploi, une opportunité ou un soutien financier décisif. Refuser une avance, contester une attitude ou simplement poser une limite peut se traduire par une forme d’exclusion symbolique ou économique.
Ainsi, le consentement ne saurait être envisagé comme une décision strictement individuelle : il s’inscrit dans un ensemble de rapports de force — hiérarchiques, économiques et symboliques — qui façonnent les conditions mêmes du travail.
Face aux accusations, Thierry Lounas et Claire Bonnefoy ont dénoncé ce qu’ils qualifient de climat de “puritanisme”, assimilant la démarche collective des témoignantes à une “chasse morale” injuste animée par la vengeance. Cette stratégie discursive, déjà largement observée depuis l’émergence de #MeToo, consiste à délégitimer la parole des victimes en inversant la charge de la honte : les accusés deviennent alors les victimes supposées d’une société trop “vertueuse”, normative, voire liberticide.
Une telle rhétorique a pour effet d’occulter la matérialité des violences sexistes et sexuelles, en réduisant le débat à une opposition entre liberté et censure morale. Elle déplace la discussion du terrain des faits vers celui des valeurs, et détourne ainsi l’attention des responsabilités professionnelles, institutionnelles et systémiques qui permettent à ces violences de perdurer.
Ce cas, loin d’être isolé, interroge plus largement les conditions d’exercice du pouvoir dans un milieu qui se revendique indépendant tout en restant traversé par les mêmes logiques de domination que celles qu’il prétend critiquer. Il invite à repenser les mécanismes de légitimation, de solidarité et de silence qui structurent encore aujourd’hui le champ du cinéma d’auteur français.
L'article est disponible en intégralité sur le site des Jours - enquête réalisée par Maud Le Rest.
Avertissement : cet article contient des récits de violences sexuelles.