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Elle s’appelait Soraya, du moins c’est ce que Mouloud devina en zieutant la tranche de sa carte de lecteur, posée négligemment sur la table. Un prénom qui sonnait comme un refrain de raï remixé par un DJ du 93. Elle avait ce regard qui te scanne sans que tu t’en rendes compte, comme les portiques du métro, sauf qu’elle, elle te laissait passer.
Mouloud, lui, n’était pas du genre à parler pour rien dire. Il avait appris à se taire dans les cages d’escalier, à écouter les murs, à lire les silences. Mais là, il sentit que le moment était venu de dire quelque chose. Pas grand-chose. Juste assez pour exister.
— Elle est bien, la revue ? demanda-t-il en désignant le magazine qu’elle feuilletait à l’envers.
Soraya leva les yeux, mi-curieuse, mi-amusée.
— C’est pour les meufs qui tricotent des illusions. Moi je préfère les moteurs qui ronronnent.
Et là, Mouloud sut qu’il venait de tomber sur une meuf qui parlait sa langue. Pas celle des profs, ni celle des keufs. Une langue faite de soupapes, de regards en coin, et de rêves qui tiennent sur deux roues.
Ils parlèrent longtemps, entre les rayons de la bibliothèque et les interstices de leurs vies. Elle lui raconta qu’elle bossait en intérim dans un garage, qu’elle voulait monter sa propre boîte, “Soraya Mécanique”, avec des tarifs pour les jeunes du quartier. Lui, il lui parla de son scooter, de ses galères, de ses embrouilles avec les flics, du racisme immonde, et de son envie de partir loin, genre Marseille ou même Alger, juste pour voir si l’air y était moins chargé.
Et quand la nuit tomba sur la cité, ils sortirent ensemble, côte à côte, comme deux échappés du système. Le scooter démarra dans un bruit de victoire, et Soraya, assise derrière, cria :
— Vas-y Mouloud, fais-moi rêver !
Et il accéléra, comme si l’amour pouvait se mesurer en tours par minute.
La suite est à vendre, si Fayard Bolloré veut acheter..