J’ai toujours détesté la croyance. Elle renvoie à la religion, et la religion est, selon moi, ce qu’il y a de plus abominable. L’homme n’est pas le fruit d’une création divine. Il est issu des noces chimiques. La chimie possède une forme d’intelligence, et l’homme en est l’héritier. Ce qui est trop évident finit par nous aveugler. L’univers contient tout — même ce que nous sommes incapables d’imaginer. C’est bien du mariage entre la Terre et l’univers que nous tirons notre existence. Que serions-nous sans le Soleil ?
La Terre n’a pas besoin de l’homme, qui désormais l’habite en parasite. Il y a 70 millions d’années, des animaux gigantesques broutaient de grandes fougères dans d’immenses étendues humides. L’apparition de l’homme remonte à environ 7 à 3 millions d’années. Il n’a pas de nationalité au sens juridique : il voyage depuis toujours. L’intelligence de l’homme n’est pas née de son cerveau, mais de ses pieds. En quittant la position quadrupède, il a libéré ses mains. Notre intelligence est plantaire. Grâce à ses mains, il fabriquera des outils redoutables pour fracasser le crâne des autres animaux et s’en nourrir.
Au départ, il est recouvert d’une épaisse fourrure, qui devient vite un handicap. Il l’abandonnera pour retrouver la fraîcheur. Il se redresse, il s’arme, il s’organise. Il devient chasseur, bâtisseur, dominateur.Puis il devient moderne.
L’homme moderne s’est cru maître du monde. Il a dompté le feu, creusé la roche, détourné les fleuves, mais il n’a jamais dompté sa propre violence. Il s’est construit des villes verticales, des temples de verre et d’acier, croyant s’élever au-dessus du vivant. Il a inventé le progrès comme une fuite en avant, une course sans fin vers un confort qui l’éloigne de lui-même.
Il ne marche plus, il roule. Il ne regarde plus le ciel, il le traverse. Il ne touche plus la terre, il la bétonne. Il ne parle plus aux arbres, il les abat. Il ne rêve plus, il consomme. L’homme moderne est un animal amputé de son instinct, un être qui a troqué la sagesse contre la vitesse.
Et pourtant, au fond de lui, quelque chose résiste. Une mémoire ancienne, un murmure venu des racines. L’homme n’est pas fait pour les écrans, il est fait pour les étoiles. Il n’est pas né pour obéir, mais pour comprendre. Il n’est pas un produit, il est une question.Mais il est allé trop loin.
Il a dépassé le seuil de l’évolution naturelle pour entrer dans une mutation artificielle. Il ne s’adapte plus à son environnement, il le modifie, le déforme, le détruit. Il ne cherche plus à comprendre, il veut contrôler. Il ne vit plus, il s’optimise. Son corps devient une machine, son esprit une interface. Il rêve d’immortalité, mais oublie la beauté du passage. Il veut tout prévoir, tout calculer, tout simuler — mais il ne sait plus ressentir. L’homme moderne est un être augmenté, mais amputé.
Il a cru que l’évolution était une ascension, une ligne droite vers le sommet. Mais il n’y a pas de sommet. Il n’y a que des cycles, des équilibres, des respirations. L’homme a rompu le pacte avec le vivant. Il a trahi la Terre, et maintenant, la Terre le rejette.
L’évolution ne continue pas. Elle s’épuise. Elle s’effondre sous le poids de l’orgueil. L’homme n’est plus en marche, il est en chute.
Et il va disparaître. Pas sous les bombes, ni dans un cri. Il va s’effacer comme une empreinte sur le sable, balayée par la marée du temps. Il aura trop voulu, trop pris, trop cru. Il aura confondu puissance et sagesse, technologie et vérité. Il aura oublié qu’il n’était qu’un passage, une forme parmi d’autres.
La Terre ne pleurera pas son absence. Elle respirera mieux. Les arbres repousseront là où les villes s’étaient dressées. Les océans retrouveront leur silence. Les oiseaux chanteront sans bruit de moteur. La vie continuera, sans lui.
Et peut-être qu’un jour, une autre forme de conscience émergera. Une intelligence née du sol, des racines, du vent. Une pensée qui ne cherchera pas à dominer, mais à écouter. Une espèce qui saura que vivre, ce n’est pas conquérir — c’est coexister.
Mais l’homme, lui, aura été une parenthèse. Une fulgurance. Un feu trop vif dans la nuit du vivant.