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Mustapha Ait larbi

Intellectuel dubitatif. Guitariste a l'occasion. Né Algérien par hasard ce, comme les Français. Par hasard !

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Billet de blog 3 novembre 2025

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Le cancer est parfois une invitation au renouveau.

Dernière correction de mon livre. A vous de voir. Il ne sera pas vendu mais donné sur le net. Je refuse maintenant ce système devenu exclusivement marchand. Le cancer c'est la malbouffe, la mal vie. Texte court.

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Illustration 1

 Le cancer comme compagnon .

Ça y est. À soixante ans passés, me voilà enfin désigné, moi aussi. Propulsé, sans préavis, dans le pavillon des cancéreux. Un reflux gastrique, sournois, me réveille chaque nuit. C’est lui qui m’arrache au sommeil, brutalement, comme une gifle. Et c’est un descendant d’Africains, venu chercher en France une vie meilleure, qui a mis le doigt sur le coupable. Celui qui me ronge en silence, c’est mon côlon. Une tumeur, hideuse, grosse comme un œuf, a fait son nid dans mon intestin.
« Il faut opérer immédiatement », m’a dit ce médecin dont les racines camerounaises n’empêchent en rien d’être d'une l’humanité rare. « Sinon, il sera trop tard. »
Il ne mâche pas ses mots. Il accuse sans détour la malbouffe, ces aliments saturés de pesticides et de nitrites, véritables flammes invisibles qui brûlent nos corps. Et me voilà, après une vie entière de travail, jeté dans l’antichambre de Thanatos. La fin m’empoigne. Elle me souffle au visage. Il faut que je réagisse, que je me renseigne, que je change de vie. Une course contre la montre vient de commencer. Maintenant, je veux comprendre, apprendre, ressentir vraiment, je veux que l’inconnu devienne une lumière.

Renaître à la vie

J’ai préparé mes dernières affaires, jeté un dernier regard en arrière, et je suis descendu dans la rue. Le camion de location attendait, sagement garé sur le bord du trottoir. J’ai pris le volant, j’ai mis le contact, et j’ai laissé le passé derrière moi. J’ai traversé la moitié de la France au volant de ce véhicule en tôle qui contient toute ma vie. Direction grand air. Je laisse des amis, des souvenirs, des beaux jours, mais aussi des blessures. J’ai roulé longtemps, tranquillement, m’arrêtant de temps en temps pour remettre de l’essence et boire un café. En arrivant dans mes montagnes, j’ai commencé par remettre une ancienne ferme en état. La propriétaire, une vieille dame au regard franc, m’a proposé six mois de loyer gratuits à condition que je restaure cette bâtisse, précieux témoin du passé. Je l’avais rencontrée un mois plus tôt dans une maison de retraite pour parler de la location de sa maison. Elle passe ses journées à tricoter, à lire, à boire du thé. Elle aime aussi jouer aux cartes. Par la suite, je reste parfois avec elle. On joue à la bataille. Pour donner plus d’intérêt au jeu, on mise avec des bonbons. Quand elle gagne, elle a des sourires d’enfant. Avant de partir, elle me dit toujours :
« Ne m’oubliez pas. Revenez me voir. »
Je la rassure. Vieillir, c’est souvent retourner en enfance. Avec ses jeux, son insouciance… et ses peurs.

La maison, toute en pierre, est solide comme un serment. Au centre, une cheminée massive trône, cœur battant d’un foyer ancien. Ma première tâche fut d’installer une douche. La propreté est déjà une liberté. Le corps lavé, l’esprit suit. Ensuite, j’ai vidé la grange d’objets inutiles, de souvenirs sans âme. J’ai tout brûlé, fait un grand nettoyage par le vide. Il ne faut pas craindre de faire place nette : c’est aussi une manière de renaître. Il y à deux jours, j’ai acheté un âne et quatre poules au marché. Chacune a un nom. Elles sont mes compagnes. J’ai baptisé mon âne Ulysse car ensemble nous allons vivre une odyssée. Il sera la tondeuse car le terrain est grand. Je vais aussi me servir de Ulysse comme «  cheval de chemin creux ». Le cheval des pauvres qui servait à tirer la charrette mais aussi de monture aux enfants qui rêvaient de grandes chevauchées. L’alliance du mariage du travail et du jeu, car le sens de la vie c’est le jeu.

 Le retour à la nature

Je dois reprendre des forces. Chaque après-midi, je m’impose deux heures de marche sur les sentiers escarpés. Au retour, je cueille des herbes sauvages : thym des montagnes, ail des ours, sauge, estragon. Et des baies : myrtilles, fraises des bois, fruits rouges éclatants comme des bulles de champagne. Plus tard, j’y ai ajouté des noix, des noisettes, des châtaignes. La force brute de la nature. Voilà ce dont nos corps ont réellement besoin. L’alimentation moderne n’est qu’un mirage : pauvre en nutriments, riche en toxines. Elle nous consume à petit feu. Hippocrate avait raison : « La mort commence dans le côlon. »J’ai réparé le mobilier. Vieilles chaises, tables branlantes. Avec des clous rouillés, des vis anciennes, des tenons de bois taillés à la main. Un décor des années trente. Ici, le « vintage » n’est pas une mode, mais une fidélité. Le bois craque avec mémoire. Les objets parlent doucement. La lumière traverse les vitres comme un soupir. J’ai remis le jardin en état. Planté du laurier, du basilic, du romarin, de la menthe, de la ciboulette, des groseilliers, du cassis, des légumes en quantité. J’ai divisé le terrain en quatre parties, cultivées tour à tour, selon l’ancien système de jachère. Sans fumier. Ici, j’apprends à vivre lentement.

Les jours sont tissés d’opaline et de lumière bleue. Le matin, le brouillard envahit la vallée comme un chien silencieux. Il s’accroche aux cimes des sapins, se couche sur les pierres de la rivière, parfois jusqu’à midi, comme un vieillard sur un banc. J’aime cette lenteur. Ce calme froid. Cela m’éloigne encore plus de la frénésie des villes, de leurs écrans hystériques, de leurs muscles à vif. Je fais mon pain, à la main, comme ma grand-mère. Farine de sarrasin, levain naturel, sel gris. Pétrir la pâte dans l’auge en bois de chêne, c’est masser le temps. J’écoute le pain cuire comme on écoute grandir son enfant. C’est en forgeant que l'on connait la résistance du fer, comme c'est en marchant que l’on découvre de nouveaux horizons, tout n’est pas que laideur. J'ai une chance sur un million de m'en  sortir vivant,  mais, je n'ai plus rien à perdre, alors je joue toutes mes économies d'une vie. Je dois retrouver la lucidité du philosophe, la ferveur du mystique , la curiosité du scientifique, et la tendresse du poète.

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