On en parlait partout , son nom était sur toutes les lèvres , tout le monde tremblait à son évocation .Je l’attendais de pied ferme et , si j’ose dire , un jour le miracle a eu lieu . J'étais oint à mon tour de la sainte ampoule mon bon Clovis .J’avais moi aussi mon cancer .J’étais enfin nominé . J’entrais dans la gloire et sans doute dans la légende . De récipiendaire en la propédeutique , voilà que je devenais grand maitre de loge . La consécration quoi ! Depuis le temps que je mangeais une nourriture industrielle empoisonnée , que je respirais un air malsain , que je buvais une eau que je payais fort cher sachant que le vendeur indiquait pourtant qu’elle était buvable mais non potable compte tenu du taux de pesticides qu’elle contenait , échapper au crabe aurait été un miracle.
Mon toubib m’annonça d’un ton grave après avoir touché ses vingt euros et en lorgnant sur son gros SVU Allemand à 70 000 euros garé sur le trottoir que j’avais un cancer du colon.
Je le remerciais en le gratifiant d’un grand sourire et je quittais son bureau qui sentait le parfum de toutes les avarices. Auparavant , j’avais passé une coloscopie et un scanner .Un hindou tout à fait charmant m’avait annoncé la chose avec gravité .
- C’est bien un cancer , vous avez un énorme polype mais bonne nouvelle , six centimètres au-delà de l’anus.
Il était précis l’hindou , sans doute encore un inspiré de Vischnou et de Ganesh. Pour le lecteur néophyte , disons que la chirurgie allait sauver mon trou du cul . Plus proche du désigné si avant , c'était une poche à vie.
Par la suite , je rencontrais le chirurgien . C’était un Algérien tout sémillant , très sympa et gras comme une chèvre du Djudjura qui avait trouvé son anxiolytique aussi en bouffant comme un cochon . Il répondait au joli prénom de Mohamed. Pour vaincre ses angoisses et contrôler son stress , il passait son temps a bâfrer . Il se préparait aussi un joli cancer le Maghrébin avec toutes ces poubelles que des gens sans scrupules déversaient dans nos assiettes .Le bonhomme se défonçait au sucre , au sel , au gras , tout ce qu’il fallait pour un jour être nominé à son tour . Comme dit le poète , enivrez-vous de vin , de mots , de femmes, de chants mais enivrez-vous . Pour picoler de la mal bouffe , il picolait le maghrebin.C'était sa façon de s'enivrer...
On est tous des défoncés pour être clair. Les moralistes dehors . Faut bien tenter d’apaiser nos névroses d’angoisses . Parlez- moi d’abstinence et je vous fout mon poing sur la gueule chantait Brassens . Bref ! Le grand jour arriva , on allait enfin m’ouvrir le ventre , débarrasser mon gros côlon de l'intrus. On m’installa sur un grand lit blanc et une nuée de femmes se jetèrent sur moi.
Une aiguille par ci , un rasage intime par là , une douche avec betadine d’un autre côté , de véritables mamans poules ces jolies dames . J’étais détendu , calme , souriant , ce qui ne manquait pas d’étonner le personnel. Ceci dit , j’avais enfin mon cancer et j’étais bien décidé à en jouir seul , en parfait égoïste . C’est bien le proverbe chinois qui énonce que plus on est de fous et moins il y a de riz . Je connais quand même mes classiques .Pas envie de partager mon cancer avec les autres .
Dans le blog opératoire toute une équipe m’attendait alignée comme des poireaux . L’anesthésiste était un Asiatique ( et en plus on m’offrait un tour du monde). J’en salivais de plaisir. ‘’ sut-été meskin otrement ‘’ vous en conviendrez non ?..
L’asiatique brancha une grosse seringue sur ma perfusion et je sombrais dans les limbes du Pacifique . Je me suis réveillé cinq heures plus tard , très frais à mon grand étonnement . Je constatais de suite qu’on m’avait placé des tuyaux partout , une perfusion , une poche de nourriture qui m’alimentait par une veine , un tuyau dans le zob ( je sais , ce n'est pas beau de le dire mais je vous dois toute la vérité). Le vrai, le grand nom , c’est sonde urinaire , (c’est vrai que ça fait plus classe ). J’avais aussi du plastique dans le nez pour un apport en oxygène . Toute cette équipe avait fait de moi un robot . Dorénavant , tout se passait à l’extérieur.
Deux boyaux ressortaient de mon ventre . C’était mon intestin grêle. Une infirmière arriva rapidement et me posa ma première poche que j’allais garder six mois . Il faut la changer régulièrement et ce n’est pas toujours simple. Faut des ciseaux , des lingettes , une poudre pour calmer certaines brûlures et tout et tout. Le cancer du côlon pour un malade c’est la grande découverte des joies du bricolage lorsque la poche tient mal .Je suis resté sept jours à l’hôpital . La grande angoisse des médecins, c’était une hospitalisation plus longue. Faut organiser la rotation des lits. C’est leur grand souci. Si ça manque de place dans nos hostos....Une copine est venue me chercher le jour de ma sortie .
Elle m’a demandé .
-Comment vas-tu ?
Je lui ai répondu .
- Tu aurais dû venir en jupe courte .Hé oui ! Il y a une vie après le cancer les enfants….
Ps : il y a six ans de cela .