Agrandissement : Illustration 1
Encore un petit matin, où l’air absent s’accroche aux vitres, où l’infime se mesure au gigantesque. Je m’enivre du privilège de l’aurore. Le jour s’avance, bousculant la nuit qui s’efface lentement, comme une mémoire qui refuse de mourir. De la clarté est née la vie, du noir elle se maintient. Tout est oscillation, paradoxe, contraires qui s’embrassent, changements qui s’imposent. Depuis des siècles, des hommes redécouvrent ces joies ineffables, ces misères de la grandeur.
Et moi, je n’oublie pas. Je n’oublie rien. Jamais. Alors je reste là, immobile devant le jour qui se lève, à écouter le silence se fissurer sous le chant d’un oiseau. Le ciel s’ouvre comme une page neuve. Le Maroc a des beautés indicibles, des couleurs que l’on ne trouve même pas dans la mer, et chaque rayon écrit une promesse. Ici, le monde recommence, fragile et immense, dans l’éclat d’un instant. Lévi-Strauss écrivait déjà tout cela dans Tristes Tropiques. J’ai enfin oublié, pour quelques temps, toute cette violence qui est désormais le quotidien en France. Qu’il est difficile de vivre dans le mensonge permanent, sous la botte de despotes élus.
Je retrouve la sagesse et la vérité d’Érasme, d’Étienne de La Boétie.
Tout devient haine, rejet, racisme, ségrégation, comme ce vieux malade qui n’en finit pas d’agoniser dans son lit rongé, brûlé par les escarres. La pourriture est partout, beaucoup suffoquent. J’ai eu la chance d’avoir les moyens de partir, de m’exiler, de quitter ma terre de France, ce pays qui devient fou, et je comprends que vivre, c’est apprendre à accueillir l’éternel retour du matin. Il faut savoir aussi écrire avec ses ressentis, ses humeurs, ses trajectoires de vie. L’information est une notion polysémique : la plus grande information est passée par le roman.