
Quand j'étais enfant, l'instituteur tirait tous les six mois sur une forme de rotative " le petit journal" de l'école qui était vendu un franc. Avec cet argent, il organisait un voyage en autocar un jour, j'ai vu la mer pour la première fois.
À cette occasion, nous étions tous conviés à écrire un texte. Curieusement, et vous allez me trouver prétentieux, mais c'est toujours "l'arabe ", et c'est-à-dire moi que les gens plébiscitaient.
- Il écrit bien, et il n'est pas bête pour un Arabe. Voilà le bruit qui courait de fermes en fermes.
Je n'en tirais d'ailleurs nulle gloire compte tenue de la concurrence pas foutue de lire un seul, et unique livre par an.
Un jour, j'écrivais la rivière empoisonnée car, ma rivière était devenue morte. Tout avait péri en quelques mois. L'état qui veut toujours tout savoir dépêcha trois gus sur place pour tirer l'affaire au clair.
Finalement, cette mort programmée de la rivière était le fait des nouveaux poisons que les paysans répandaient généreusement dans et sur les sols. Je découvrais avec horreur le concept d'agriculture intensive, celui de productive, et le doux chant du Stakhanovisme:La brutalité de la maison de Matriona d’Alexandre Soljenitsyne dans ces destins implacables.
Bien entendu, ces pollueurs lavaient après usage leurs énormes épandeuses dans la rivière. Les gars vinrent dans la cour de ma grand même sachant que la rivière y passait pour y faire des prélèvements. Je posais une simple question à l'un deux.
- Sachez-vous pourquoi toutes les truites et les vairons sont morts ?
Un type plutôt sympa me répondit.
- Tout est mort. Les poissons, les écrevisses, les vers à bois, tout.
- Mais comment cela se fait-il ?
- Ce sont les paysans qui ont rincé leurs matériels qui sont en cause.
D'accord, dis-je, mais elles reviendront les truites ?
Le gars lâcha.
- Elles ne reviendront jamais petit, quand c'est mort, c'est mort. Dis-toi bien que ta rivière est morte à jamais. Pour que tu comprennes, il faut imager qu'il y à le feu dans l'eau, un immense incendie, tout brûle.
Au moins, il était bon pédagogue le bonhomme.
Alors, après les lapins, les faisans, les lièvres, les grives, les chevreuils qui succombaient sous les poisons et les roues des voitures voilà maintenant que c'est toute la nature que ces imbéciles tuaient. En retournant à la maison j'avais un gros doute. La rivière c'était toute ma vie. C'était ma première et ma plus grande histoire d'amour. À peine rentré de l'école, et après avoir nourris les poules, les canards et cassé le bois, j'allais pêcher. J'avais l'impression que quelque chose venait de casser en moi. Que plus rien ne serait plus jamais comme avant. Un fils de paysan me dit à la récréation.
- Bien sûr que c'est dangereux la preuve, il y a des têtes-de-morts sur les bidons.
Pour le coup, je ne comprenais plus rien. Quoi ? À douze ans, j'étais plus intelligent que tous ces adultes?
L'argent avait plus de valeur que la nature, que la santé, que la vie ? Je devais en avoir un " grain " sachant, qu'en avoir un grain en Normandie c'est grave. Ca veut dire que plus tard pas une fille ne voudrait de moi. J'étais condamné toute ma vie à l'abstinence sexuelle. Quand la malédiction vous tient. Mon avenir ( bis ) c'était le tonneau des danaïdes. Ma grand-mère essaya de me rassurer.
- Ce n'est pas si grave, tu iras pêcher dans la grande mare, il y a encore du poisson.
Pour me venger, et pour tenir les habitants informés, j'ai écrit ce que je savais dans le journal de l'école. L'instituteur refusa de me publier. L'accusation se serait retournée contre son auteur, et contre lui.
La une fut attribuée à une fille qui raconta comment sa maman avait économisé pendant les soldes. Ha les unes ! Encore une catin du système.
Quatre plus tard, j'ai connu Maryline .Toujours une histoire de pêche " à la ligne"...
Nous sommes des voyageurs qui cherchent leur patrie-monde, ne marchons pas la tête baissée; il faut lever les yeux pour reconnaitre la route aurait dit Nietzsche .