Me voilà revenu à Châlons-en-Champagne, ce bled figé entre vitrine et décomposition. Le centre-ville est charmant, historique, pavé, bordé de bars à champagne pour draguer chic. L’Hôtel de Ville, marbré et victorien, trône comme un décor de carte postale. Les arbres sont en cage, les festivités sont gratuites sur une petite place charmante aux airs du midi. Bien entendu il y à un marché devenu une distraction car on y trouve la même camelote que dans les grandes surfaces. C'est du folklore, mais l'argent entre au bulldozer .Les commerçants se frottent les mains. Ici on ne fait surtout pas de politique, on rêve d'un monde où il n'y aurait que des consommateurs.
Mais plus loin, dans les zones à corbeau, c’est l’autre Châlons. Une banlieue sans âme, sans emploi, sans horizon. Des barres de HLM clonées, des parkings sales, un commissariat qui filtre les flux sans bruit. Il ne manque plus qu’une navette gratuite pour les riches, histoire de boucler la boucle. Comme au zoo quoi ! Faut le grand frisson...
Châlons, avec Reims, c’est la capitale du champagne. Une boisson mondialement connue, cultivée sur des terres saturées de pesticides, parfois recouvertes par les déchets des usines de retraitement des poubelles pour maintenir les sols. Les terres sont devenues bleues sous l'effet du plastique, on appel ça " le compost industriel... La vigne à parfois une maladie qui s'appelle la jaunisse. C'est le monde du nectar des bourgeois, servi à la coupe dans des bars aux plantes vertes et aux serveuses affables.On vient du monde entier pour acheter le jus des ceps de vignes
Mais derrière les bulles, la misère. Celle qu’on ne montre pas. Celle qui dépasse Marseille ou la Seine-Saint-Denis. Ici, à Montereau-Surville*** dans le 77 ou à Châlons, c’est pire. À la fin de mon enquête, on m’a demandé : « Quel est le danger dans ce trafic de voitures, de fringues, d’objets volés ? » J’ai répondu : - Le vrai danger, c’est la cocaïne. Vu l'explosion de la demande, la production va augmenter et les prix vont baisser . On m’a regardé comme un martien. J’ai ajouté : - Si rien n’est fait, ce pays deviendra Haïti.
Pendant ce temps, la droite, elle, sert du champagne "social " en parlant de racaille, de vermine, de Karcher. C’est la droite qui à fait le lit du RN avec son langage méprisant et ordurier. Ces pauvres sont la vermine, mot prisé des nazis pour désigner les juifs. Les socialistes tentent de corriger le tir en parlant de "sauvageons". Mais la nuit, dans les cités de Châlons, ce sont des ombres qui glissent, des caves où l’on consomme avec une fille du quartier. Le réel, lui, ne fait pas campagne.
J’ai rendu mon rapport en parlant de contrebande textile, prostitution. Ils ont haussé les épaules, ils étaient ravis. Fermer les yeux sur les causes, c’est leur spécialité. Champagne pour les bourgeois, cocaïne pour les paumés, et les deux pour les vrais riches.A quoi bon leur dire ce qui se joue vraiment ? ils vivent dans la caverne de Platon, mais une caverne de luxe.
*** cité de Surville en Seine et Marne 77, autre enquête pour la région.
ps : à l'époque un gramme de coke coutait entre 70 et 80 euros maintenant , ça tourne autour de 55, 55 euros ( mais pas partout les mêmes prix: disparité )