
Je suis sorti de l’écolier hôtelière de Granville en Juin un c.a.p de cuisinier en poche pour élaborer des mets rares et couteux à des gens qui ont les moyens de payer 200 euros un simple repas. Comme déjà dit dans un billet, pendant mes trois années d’apprentissage, j’ai surtout couru les filles et appris la guitare. J’ai prix du bon temps. Je savais qu’ensuite ce serait le bagne à vie. Je ne suis pas né du bon coté des choses. L’aliénation et l’exploitation comme disait Papa Marx dans son livre vraiment capital seront mes fidèles compagnons de route.
J’ai fait deux mois de saison à la Duchesse Anne à St Malo, un restaurant de luxe devenu crêperie de luxe aussi. Sa publicité reposait sur le fait que Napoléon avait passé une nuit dans ses murs sans doute en fomentant des plans pour bouter le mangeur de pudding et de buveur de jus de feuilles hors du pays de France. Ceci dit, c’était son problème pas le mien. La saison à été épuisante. Sur le pont de 6 h du matin à 23 h, ce sont les fameux 40 heures que nous distillent la publicité d’état. Le salaire est au minimum légal mais je suis logé dans un trou à rat sous les toits et je mange « luxe ». Reste de homard, tournedos Rossini et sa rondelle de truffe, profiteroles au chocolat dans ses atours de parfum de poire. Je suis rentré claqué à la ferme. ma grand mère est si heureuse de retrouver son bagnard. J’ai une sale toux, j’ai maigris, le rythme était trop dur pour le poète-musicien attardé que je suis. Mon frère m’à dit: - laisse tomber ce boulot, et viens à l’usine, tu seras payé le même prix et tu bosseras dix fois moins. C’est une usine qui fabrique un peu de tout. Une tréfilerie moderne. Des camions de métaux entre d’un coté, des immenses bobines de fils de cuivre, de plomb , de laitons sortent de l’autre coté. C’est bruyant, sale, et pollué, c’est Dante: l’homme qui tenait sa tête dans ses mains.
Nous avons trouvé une piaule dans la ville d’à coté car l’usine se trouve pratiquement au milieu des champ.Le frangin à dégoté une chambre meublée avec un coin WC, lavabo dans un grand débit de boisson. Des gens riches qui ont aussi une boutique de fringues et une autre qui vend des fleurs et des trucs en marbre que l’on pose sur les tombes en marbre lorsqu’un joyeux maccabé vous lance joyeux : je vais aller tailler la bavette avec St Pierre. La patronne femme déjà assez vieille bosse du matin au soir rivée entre le bar et le coin ou elle vend du tabac. Le patron un joli minet sémillant tient le PMU le matin ensuite, il passe son temps à jouer au billard et à la chasse. Souvent, il monte à Paris avec sa voiture de sport pour chasser sans doute un autre gibier…
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, le travail n’est pas difficile. Je suis devenu " emballeur ". J’emballe les grosses bobines dans du papier et ensuite je les colle dans de grosses boites en bois. Dix clous, trois tampons et ça part en Allemagne, en Russie, au pays aussi de la perfide Albion. Lors du passage des tests, le recruteur à remarqué que je parlais très bien le français ce qui m’à évité d’aller au four. La fonderie c’est le gourbis des Maghrébins, l’usine procède par nationalité sachant que tout le monde est logé à la même enseigne, ce sont les conventions collectives qui font la loi, et c’est plutôt un bienfait. Sans les conventions, on en serait encore à la soupe le soir, et la nuit à dormir sur la paille dans l'atelier. La vie d'un ouvrier ça vaut juste le prix de 200 grammes de pain noir pour maintenir sa force de travail. Le chef d’atelier un certain Lambert qui se regarde tous les cinq minutes dans la glace de son bureau et qui à fait deux ans en Algérie se gratte la tête. Il doit y avoir une erreur d’aiguillage. Deux ratons chez lui. C’est le début de la décadence..
Ps: je vais en faire une nouvelle, on verra si ça marche, ce sera la 6é du lot. Vieille photo du " héros" sauvée des eaux de Deucalion.