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Mustapha Ait larbi

Intellectuel dubitatif. Guitariste a l'occasion. Né Algérien par hasard ce, comme les Français. Par hasard !

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Billet de blog 15 décembre 2025

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J’ai posé mon crayon: la transsaharienne.

Karim a été très étonné lorsque je lui ai dit que Bardella touchait plus de 19 500 euros par mois, et nombreux avantages. Lui, si prompt d’habitude à réagir, a pris le temps de réfléchir et m’a dit :— Tu déconnes ou quoi ? A force de raconter des salades, plus personne ne crois rien.

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Illustration 1

A force de raconter des salades, plus personne ne croit rien. C’est pourtant la triste réalité de tous ces gens qui nous coûtent des millions, comme Knafo et Zemmour, qui louent une chambre d’hôtel à 2 500 euros la nuit à Saint‑Tropez et qui font pourtant semblant de s’offusquer devant les 560 euros de RSA, ou devant le petit dealer qui vend dix grammes de shit qui serviront aussi à acheter le lait et les couches‑culottes. Faites cesser le trafic dans une cité : tous les grands magasins accusent une chute vertigineuse de leurs ventes.

En attendant, hier, j’ai pêché deux grosses dorades au pain dur. Ça fait plaisir. Nous avons grillé ce poisson avec des poivrons verts. J’avoue que je préfère, et de loin, écrire les « carnets de l’ethnologue », les nouvelles sociales à la Maupassant, mais le journal ne se prête guère à ce genre de textes, de travaux, de mise à jour des réalités du quotidien. Ici, les discussions tournent surtout autour du coût de la vie, notamment du prix du pain nourriture principale, du sucre et de la semoule. Le pays est encore un joli mélange d’ânes, de voitures usées, de chèvres dans les arbres, de couleurs surtout ocres.

Je commence un peu à oublier tout ce brouhaha politique. La France est dorénavant composée de deux blocs, deux forces qui ne se parlent plus. Comment peut‑on parler à une brute qui défend la préférence nationale, qui veut « casser du nègre », « bouffer du raton », renvoyer les femmes pauvres au foyer faire des gosses ? Comment peut‑on écouter les délires de Soral, issus d’un cerveau reptilien. Si vous avez une solution autre que le révolver ? Demain, nous serons à la frontière de la Mauritanie. Les papiers sont prêts ; il faudra régler une somme, comme en Tchécoslovaquie. Sans doute pour entretenir leurs routes défoncées.

Et puis, en marchant ce matin, j’ai repensé à tout ça,  à Karim, à Bardella, aux dorades grillées, aux routes défoncées, à la France qui se déchire comme un vieux drap. On dit souvent que les peuples se trompent, mais ce n’est pas vrai : ils choisissent ce qu’on leur laisse. Et en ce moment, on ne leur laisse que la peur, emballée dans du papier bleu‑blanc‑rouge, vendue comme une solution miracle par des gens qui n’ont jamais mis les pieds dans une file d’attente de CAF.

Ce qui me frappe, ici, loin du vacarme, c’est à quel point la politique française ressemble à une mauvaise pièce de théâtre : les acteurs jouent faux, le décor s’effondre, mais le public continue d’applaudir parce qu’il ne sait plus comment sortir de la salle. On a remplacé la pensée par le réflexe, la nuance par le slogan, la solidarité par la suspicion. Et pendant que les uns comptent les centimes pour acheter du pain, les autres comptent les likes sur TikTok en expliquant que « tout ça, c’est la faute des étrangers ».

Le plus ironique, c’est que ceux qui hurlent le plus fort contre « l’assistanat » sont précisément ceux qui vivent de l’argent public : permanents politiques, communicants, influenceurs de la haine, parasites de la République qui se font passer pour des sauveurs. Ils ont inventé une nouvelle économie : celle de la colère rentable. Plus tu divises, plus tu gagnes. Plus tu mens, plus tu montes. Et si tu cries assez fort, on finit par te croire.

Ici, au bord du désert, les choses sont simples : on survit, on partage, on se débrouille. Là‑bas, en France, on s’entretue symboliquement pour un ticket de métro, un prénom, un fantasme. Deux blocs, disais‑je. Deux mondes. Deux solitudes. Et au milieu, plus personne pour traduire.

Alors oui, je commence à comprendre pourquoi certains fuient, pourquoi d’autres se taisent, pourquoi tant de gens baissent les yeux. Ce n’est pas de la lâcheté : c’est de la fatigue. Une fatigue profonde, ancienne, qui ressemble à celle des vieux pays qui ont trop cru à leurs propres mythes.

Demain, on passera la frontière. On paiera ce qu’il faudra. Et je me demande si, finalement, ce n’est pas le prix de la tranquillité : quelques billets pour qu’on nous laisse passer, pour qu’on nous laisse respirer, pour qu’on nous laisse oublier un instant la grande comédie nationale.

Et Karim, lui, continue de me regarder avec ses yeux ronds :

—  Tu crois vraiment qu’il touchent 20 000 euros le Bardella ?

Ps: Qui remettra en cause de tels privilèges puisqu'ils touchent tous des sommes indécentes, qu'ils voyagent gratuitement en avion, qu'ils dorment dans des hôtels de luxes, qu'ils mangent dans de grands restaurants ? Celui qui ne peut plus louer un logement convenable, acheter une voiture en bon état, partir se reposer 15 jours en vacances ? Non ! A ce jour, personne ne s'attarde vraiment sur cette question. L'urgence tue le bon sens, même si ce n'est pas facile à comprendre.

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