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Mustapha Ait larbi

Intellectuel dubitatif. Guitariste a l'occasion. Né Algérien par hasard ce, comme les Français. Par hasard !

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Billet de blog 16 octobre 2025

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Le dernier sentier

Dans une France rurale rongée par les pesticides, Fabrice, 67 ans, artisan retraité et marcheur solitaire, voit sa mémoire s’effacer. Alzheimer ne tombe pas du ciel : il pousse dans les champs, entre les silos et les silences. Ce portrait est un constat, celui d’un homme mourant qui voulait juste marcher, et d’un pays qui ne sait plus où il va.

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Illustration 1

Fabrice à 67 ans, c'est un vieux copain avec qui je faisais de la moto de trial dans ma jeunesse. Fabrice avait marché toute sa vie. Marché pour chercher du travail, marché pour fuir les galères, marché pour tenir debout. Et puis, un jour, il avait cessé de courir. Il s’était construit une maison de ses mains, au bord d’un bois, là où la route s’arrête et où commencent les chemins.

Il vivait seul. Pas d’enfant, plus de femme. Elle était morte à 58 ans d'un cancer des reins.Mais il avait un vieux camping-car retapé avec amour, un Peugeot d’un autre temps, et des jambes encore solides. Enfin, à 62 ans l'heure de la retraite avait sonné. Il lâcha tout immédiatement pour se consacrer à sa passion: la marche. Il sillonnait la France, sac au dos, regard aux aguets afin de jouir de son adamantine beauté, de son insolente exubérance.

Le Cantal et ses eaux chaudes, la Provence et ses oliviers, l’Alsace même, il avait tout foulé pour en gouter l'accent.  Il dormait là où le vent le posait. Il n’aimait pas la télévision, ni les écrans, ni les mots de passe. Il portait un jean, un gros pull, les cheveux longs. Il était resté dans les années 80, comme un vin oublié dans une cave. Fabrice était devenu un vieux sanglier solitaire pacifique, et pourquoi pas ?...

Et puis un jour, un voisin a remarqué qu’il ne se souvenait plus de ce qu’il venait de dire. Qu’il ne conduisait plus. Qu’il tournait en rond dans son propre jardin, qu'il ne savait plus qu'elle année on était, qu'il ne se souvenait plus ou il mettait ses outils. La région où il vivait était devenue stérile. Le maïs avait tout envahi. Plus d’insectes, plus d’oiseaux, plus de gibier, plus de haies, plus de poisons dans les rivières. Son environnement était devenu une plaine venteuse qui n'en finissait pas. Une sorte d'Oural, une Sibérie. Juste des silos, des tracteurs, et des silences lourds. Plus de commerces non plus, de transport, de trains, de médecins, d'écoles primaires, des mairies fermées. Les maladies poussaient comme les cultures : Parkinson, cancer, Alzheimer. Fabrice ne fumait pas, ne buvait pas, mangeait les légumes de son potager.

Il se voyait vieillissant doucement au volant de son camion aménagé en écoutant Pink Floyd, Eric Clapton. Mais le poison était dans l’air, dans l’eau, dans les gestes répétés, et il à frappé tout le monde. Il ne pouvait plus conduire. Il refusait de l’admettre. Il s’accrochait à ses clés comme à un talisman. Il disait qu’il allait repartir. Qu’il irait voir les Cévennes au printemps. Mais le printemps, il l’avait déjà oublié. Les pesticides ont ravagé son cerveau génial.

Ps:Histoire vraie.

Addendum : petite nouvelle de mon prochain livre sérieusement raccourcie.

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