Comme disait Sempé, rien n’est simple, tout se complique.
Cette convergence confirme ce que je répète depuis longtemps : quand une politique nationale, européenne, mondiale finit par frapper tout le monde, les clivages idéologiques s’effritent. Lors des grandes épidémies de peste, rois et gueux tombaient pareillement. Aujourd’hui, c’est le pouvoir d’achat, la survie économique, la dignité qui frappent indistinctement.
Le RN a encore plus de quinze mois avant la présidentielle, et ses contradictions ,notamment sur les questions sociales, deviennent visibles. S’il arrivait au pouvoir, il hériterait d’une situation déjà très dégradée, et ce n’est certainement pas en s’en prenant à des travailleurs pauvres dont le pays a besoin qu’il pourrait espérer redresser quoi que ce soit.Dans les conversations du quotidien, les priorités sont claires.
Une amie me disait avant que je ne parte en exil : « Si je vis bien, c’est parce que je touche 3000 euros de retraite. »
Jérémy, lui, résume l’autre versant : « Si je vis si mal, c’est parce que je suis payé au SMIC, Je ne vis que pour acheter mes clopes. »
Le reste, les obsessions identitaires, les délires complotistes, les discours de haine, ne mobilise qu’une minorité. Pour la grande majorité, vivre aujourd’hui, c’est consommer. Et quand vivre devient consommer, le pouvoir d’achat devient la ligne de fracture centrale.
Peut-être que cette révolte paysanne, en réunissant des mondes qui ne se parlaient plus, annonce quelque chose de plus profond : la possibilité que le peuple, malgré ses divisions, finisse par se battre ensemble.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse largement les tracteurs, les barrages et les colères rurales. C’est un basculement silencieux : les catégories sociales qui ne se parlaient plus découvrent qu’elles partagent la même angoisse, la même fatigue, la même sensation d’être pressées comme des citrons par des décisions prises à des milliers de kilomètres. Tout se fait, se décide, sans eux, sans nous, cette vérité devient éblouissante. Le clivage politique, volontairement entretenu pour en tirer profit, commence à achopper sur son propre effet de radicalité.
On croyait les paysans isolés, les ouvriers résignés, les classes moyennes anesthésiées. Mais la réalité est plus simple et plus brutale : quand les prix explosent, quand les marges s’effondrent, quand les factures deviennent des menaces, tout le monde finit par comprendre que la survie n’a pas de couleur politique.
Et c’est là que le paysage se fissure. Les grands discours identitaires, les obsessions sécuritaires, les fantasmes de frontières magiques… tout cela pèse soudain moins lourd que le prix d’un plein, d’un caddie, d’une facture d’électricité. Le réel reprend ses droits, et le réel n’a jamais été tendre avec les illusions.
Dans ce moment, chacun mesure que la dignité ne se négocie pas. Que la colère n’est pas un programme, mais un point de départ. Que les alliances improbables d’aujourd’hui pourraient devenir les solidarités de demain.
Peut‑être que la véritable peur du pouvoir est là : voir des gens qui ne devaient jamais se rencontrer marcher côte à côte, non pas par idéologie, mais par nécessité. La nécessité, c’est le début de la politique réelle. Et si cette révolte paysanne n’était que le premier signe d’un pays qui se réveille, non pas contre quelqu’un, mais pour lui‑même ?
Ps: Un jour, des soldats Allemands et Français pendant la guerre 14/18 refusèrent de se battre. Ils ne voulaient pas mourir, souffrir pour des enjeux qu'ils n'avaient jamais compris. Ils sortirent des tranchées tous ensemble pour fêter Noël ensemble.