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Mustapha Ait larbi

Intellectuel dubitatif. Guitariste a l'occasion. Né Algérien par hasard ce, comme les Français. Par hasard !

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Billet de blog 17 décembre 2025

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Noël à Tombouctou

J’hésite à vous relater ce qui s’annonce comme un grand et beau voyage. Le club ne s’y prête guère, mais après, tout le club, le Zouave et le pont de L'Alma... Et comme disait Lacan : mon opinion isolée parmi des opinions isolées, ( publication légèrement différente pour journal du voyageur).

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Illustration 1

C’est un peu comme ce vieux slogan : votez pour qui vous voulez, mais votez. Vous aurez remarqué que c’est le leitmotiv de tous les partis, si tant est que vous en compreniez le sens aussi perfide que Méduse, cette gorgone terriblement moderne.

Votez pour moi, disait Macron, promettant que, compte tenu de la pénibilité des carrières, il maintiendrait la retraite à 60 ans. Si les gens ne comprennent toujours pas le traquenard du suffrage universel, ce n’est pourtant pas faute d’avoir sous les yeux les preuves répétées de son ignominie. Voter, c’est se battre pour mettre au pouvoir des gens qui vous mépriseront une fois installés. Je ne crois donc en aucune famille politique, ce mot si cher au grand délinquant qui vend cent mille bouquins en huit jours et qui mange du thon et des yaourts à la Santé, sachant que cela ne lui rendra jamais une honnêteté. Mais revenons à la Mauritanie.

Une plage immense et vide. Du poisson partout. Pas d’alcool, et pratiquement pas de femmes dans les rues. Ici, Allah veille sur tout. Dans ce grand bled posé au bord de la mer, on trouve même deux camping le rêve, en théorie. Vu les prix, nous avons loué une petite maison en boue, très sympa, pour l’équivalent de 2,50 euros.  On va camper ici quelques jours histoire de bien comprendre  "comment ça vit tout ça ".C'est facile sachant que Karim pige tout. Pour lui, c'est une balade en ville. Il me dit: - le danger ce n'est pas le désert, c'est les flics de banlieue. On à pas les même habitus comme disait Aristote dans son éthique à Nicomaque , ( ça, c'est pour les intellos...)

Le lendemain, réveil avec doux soleil, ce grand projecteur divin qui ne demande ni facture ni abonnement. Ici, tout commence tôt. Les pêcheurs tirent leurs filets comme on tire une vie entière : lentement, patiemment, sans jamais être sûrs de ce qu’ils ramèneront. Eux au moins ne prétendent pas gouverner, ils survivent,  ce qui est déjà un art. J’ai acheté des sardines pour une pêche de nuit, il y à parait il du thon et du requin pas loin du bord. On verra bien.  Ici le poisson se vend bien, si " j'en pique" du gros, ça paiera les frais de route.

Dans la petite maison en boue, l’air sent le jasmin et le thé à la menthe. On entend les chèvres discuter entre elles, probablement de sujets plus sérieux que ceux de nos plateaux télé. Je me dis que c’est peut-être ça, la vraie politique : un troupeau qui s’organise sans promettre la lune, sans plan de communication, sans mensonge institutionnalisé. Juste vivre, ensemble, sans se marcher dessus. C’est d’ailleurs ce que disait J.Monod lors de ses expéditions chez les indiens d’Amazonie, ( vivre ensemble c'est manger autour d'un feu: Tristes tropiques).

La ville, elle, s’étire doucement. Quelques hommes passent, drapés de bleu, silhouettes de désert. Les femmes, invisibles ou presque, sont ailleurs, dans les maisons, dans les jardins, dans les ombres, dans une autre temporalité. Ici, l’espace public appartient aux hommes et à Dieu, dans cet ordre ou dans l’autre, difficile à dire.

On marche vers la plage. Des gamins nous suivent, rieurs, curieux, jamais agressifs. Ils veulent savoir d’où on vient, pourquoi on est là, comme si notre présence avait quelque chose d’absurde. Et ils n’ont pas tort : qu’est-ce qu’on vient chercher, exactement, dans un pays où tout le monde sait que rien n’est fait pour nous séduire ? Peut-être justement cela : un lieu qui n’a pas encore été transformé en décor pour touristes pressés.

À midi, le vent se lève. Il apporte avec lui une poussière fine, presque douce, qui se dépose sur la peau comme un rappel : ici, tu n’es rien, juste un passant. Et c’est reposant, finalement, de n’être rien. De ne pas avoir d’avis à donner, de bulletin à glisser, de posture à tenir. Le désert ne demande pas ton opinion. Il te regarde, et c’est déjà beaucoup. Le soir, on retourne vers notre petite maison de terre. Le ciel devient violet, puis noir, puis infini. Pas une lumière artificielle pour le gâcher. On entend seulement le ressac, ce vieux cœur du monde qui bat depuis avant nous et battra après. Et je me dis que Noël à Tombouctou, ou presque, c’est peut-être ça : un moment où l’on comprend que la paix n’est pas un concept, mais un silence.

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