Je l’ai lu il y a longtemps, ce roman qui se veut prophétique et qui ne raconte en réalité qu’une hallucination fiévreuse : des bateaux indiens pourris, chargés de pauvres, quittant leur pays dans l’espoir d’une vie meilleure. Rien de plus banal, rien de plus humain. Mais chez Raspail, tout devient caricature, tout devient menace. C'est l'ignoble dans l'infâme . C'est de la merde !
Le racisme dégouline à chaque page. Les hommes sont décrits comme des hommes au nez d’oiseaux voraces, aux yeux brillants de cupidité. On chauffe les bateaux avec les excréments séchés au soleil. Les passagers puent comme les rafiots qui les transportent. Une obsession de la souillure, de la contamination, de la masse impure. Un fantasme de fin du monde écrit par quelqu’un qui confond littérature et délire.
Et pourtant, ironie de l’histoire : ceux qui brandissent ce roman comme une vérité, des figures publiques contemporaines, des idéologues, des polémistes, sont souvent les héritiers de migrations massives, parfois violentes, parfois conquérantes. Des lignées arrivées elles aussi par bateaux, mais armées, sûres d’elles, persuadées d’apporter civilisation et ordre.
Chez Raspail, trente bateaux et deux mille pauvres suffisent à raser un pays. Une apocalypse de pacotille. Une fable où la bonté devient faiblesse, où l’humanité devient trahison. Le message est clair : si nous ne tirons pas sur les misérables, nous serons balayés.
Ce discours n’a rien de neuf. Il recycle les vieilles peurs des nobles face aux paysans, des puissants face aux affamés. Toujours la même histoire : le sang pur menacé par le sang impur des migrants. Une mythologie de la consanguinité nationale, un fantasme de clôture, un refus de voir que les peuples se sont toujours mélangés, déplacés, transformés.
On peut rappeler une évidence historique que beaucoup préfèrent oublier : les États‑Unis comme la France contemporaine sont des pays façonnés par des arrivées successives, souvent par bateaux. Et il n’est pas interdit de souligner que des personnalités publiques comme Trump, Bannon, Zemmour ou Messiha s’inscrivent, chacun à leur manière, dans des lignées issues de ces migrations transatlantiques ou méditerranéennes.
Autrement dit : ceux qui dénoncent aujourd’hui l’arrivée des autres sont souvent les héritiers de ceux qui, hier, ont débarqué eux aussi, parfois en conquérants, parfois en réfugiés, parfois en quête d’un monde meilleur. L’histoire est pleine de ces ironies que certains préfèrent effacer.
Ps : mes parents aussi sont arrivés d'Algérie par bateau, j'en ai fait un court roman que je ne veux plus vendre. Il est disponible sur mon blog en PDF.