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Mustapha Ait larbi

Intellectuel dubitatif. Guitariste a l'occasion. Né Algérien par hasard ce, comme les Français. Par hasard !

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Billet de blog 19 septembre 2025

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Vol de nuit.

Ballade pour un latécoère.

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Illustration 1

Depuis longtemps déjà, je vis comme un marin. Je dors par étapes, selon l’état de la mer et le besoin de surveillance. Parfois l’après-midi, parfois le matin, ou juste une demi-nuit. Ce rythme me permet de goûter à tous les états des vingt-quatre heures.Hier, je suis allé au piquet de grève installé au rond-point. Accordéon, saucisses, ambiance calme. Trois voitures de police seulement, aucun barrage. Ici, tout semble presque négocié d’avance. On n’est pas à Caen.

Caen est devenue une mégalopole, comme Le Mans, méconnaissable. Tout se développe autour des grandes villes, qui finissent par dévorer les campagnes. Des villes à l’américaine, comme Los Angeles. À part le cœur, réservé aux plus riches vu les prix, les extérieurs sont informes : une succession de bâtiments sans commerces, sans cafés, avec un minimum de services publics. Des zones sans âme, où l’on circule sans jamais s’arrêter.

Cette nuit, après le rond-point et les saucisses tièdes et grasses, je reprend la route sans trop savoir où aller. La grande ville s’éteint lentement, mais les phares éclairent encore les visages fatigués des stations-service. J’ai pensé à Olivier. Il travaille la nuit à la station sur d'autoroute, j’en parle souvent. Le gardien des routiers, des attardés, des gens qui n’ont plus de cigarettes et viennent acheter un paquet 15 euros, la ruine.. Il m’avait dit un jour : « La nuit, c’est le seul moment où les choses ne mentent pas. » J’avais trouvé ça beau, sans trop comprendre.

Je l’ai appelé. Sa voix était claire, comme toujours. Il m’a dit de passer, qu’il avait du café et du temps. Alors je roule, en silence, avec cette étrange sensation que la nuit me ramène vers quelque chose de vrai. Quand j’ arrive, il souri comme un gamin.. On s’assoit et il me fait couler un café brûlant à la machine dans un gobelet en carton. Il me tend le gobelet comme un rituel. Le café est brûlant, amer, parfait. Il s’assoit en face, les bras croisés, le regard posé sur le parking vide. Une lumière clignote au loin, peut-être une pompe qui refuse de dormir.

— Tu sais, dit-il, y’a des gens qui passent ici tous les soirs. Pas pour acheter. Juste pour voir si quelqu’un est encore là. On est tous un peu paumé. 

Je hoche la tête. Je connais ce besoin. Celui de vérifier que le monde ne s’est pas entièrement refermé.

— Hier, y’avait un type. Il m’a dit qu’il roulait pour oublier. Je lui ai demandé quoi. Il m’a répondu : “Je sais plus. Mais je sens que c’est pas encore parti.”

On rit doucement. Pas de moquerie, juste cette tendresse qu’on réserve aux naufragés. Un camion passe, lentement, comme s’il glissait sur l’eau. Le bruit des pneus sur le bitume mouillé ressemble à une vague qui s’écrase sans force. Olivier regarde sa montre, puis moi.

— Tu restes un peu ?

Je regarde la nuit derrière la vitre. Elle ne me presse pas. Elle m’attend, comme toujours.

— Je reste.

Ps: après un bref sommeil, demain matin j'irai chez Fabienne qui m'attendra aussi avec un café. J'ai du en boire un camion citerne de cette boisson chaude dans ma vie. Il parait que produire le café, plante que l'on ne cultive pas en France, est un travail très difficile et que les producteurs sont payés à minima pour que nous puissions en boire comme de l'eau. L'exploitation infâme est partout.

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