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Mustapha Ait larbi

Intellectuel dubitatif. Guitariste a l'occasion. Né Algérien par hasard ce, comme les Français. Par hasard !

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Billet de blog 19 décembre 2025

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La voiturette: histoire de grande pauvreté.

Une vielle dame, une voiturette ancienne, et de rudes et froids hivers. Bardella devrait lire cette petite nouvelle au lieu de raconter des salades.

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Illustration 1

Il me revient à la mémoire, déjà érodée par le temps, cette petite histoire de pauvreté. À 21 ans, j’ai connu un gars dans les Pyrénées, où j’avais été embauché comme perchman. Un boulot merveilleux qui consiste à se geler les os toute la journée. En plus, un mois de loyer dans un studio coûtait plus cher que le salaire. J’avais fini par trouver une place, ou disons un lit,  dans un pavillon loué à dix salariés en même temps. On mangeait des boîtes, on dormait fenêtre entrouverte pour chasser l’humidité. Un type avait trafiqué le compteur EDF avec une aiguille qui bloquait la roue. Au moins, on avait chaud.

Parmi tous ces ultra‑exploités des stations de grand luxe se trouvait Jacques, un gars simple, chauffeur de navette. Il conduisait sur la glace comme sur terrain sec. Un don. En discutant, j’appris que Jacques habitait en Normandie, à quinze kilomètres de chez moi, et qu’il avait enfin trouvé un job dans ce coin maudit des Pyrénées.

Des gens plus pédants que d’autres faisaient la queue au tire‑fesses dans des tenues fluo qui dépassaient mon maigre mois de salaire. J’étais tellement dégoûté de toute cette richesse et de tout ce ramassis de cloportes que je ne faisais même pas de ski pendant mes jours de repos. Puis, compte tenu du prix des aliments et même du loyer, nous avons décidé d’un commun accord de demander la fin du contrat de travail. La station nous a payé un maigre pécule sans discuter. Les crève‑la‑faim faisaient la queue pour obtenir un emploi.

Nous sommes repartis en stop pour une remontée de mille kilomètres. Nous avons mis quatre jours pour retrouver le sol natal de notre Normandie. Un sol devenu ingrat, car toutes les usines de production avaient fermé d’un coup, pratiquement en même temps.

La mère de Jacques était une femme alcoolique, veuve, et qui avait encore une petite ferme de cinq vaches, vaches qui périrent quelques années plus tard après la suppression du ramassage du lait par camion. Jeannine faisait tout avec une vieille mobylette. D’abord aller traire les vaches, parfois dans des champs éloignés. Pour survivre, elle avait un second métier : aide à la personne à domicile. Faire des achats indispensables, aider à la toilette, au ménage… des tâches plus éprouvantes les unes que les autres.

Et puis, un jour, à force d’économies, Jeannine acheta une voiturette sans permis. Ce fut un immense bonheur pour elle. Elle n’en revenait pas : elle pouvait transporter des marchandises, du bois,  et même aller voir sa mère, qui vivait dans un Ehpad à vingt kilomètres. Pourtant, ce bonheur ne dura pas longtemps. Un matin, la voiturette refusa de démarrer. Un mécanicien se déplaça huit jours plus tard et dit :

— C’est le démarreur électronique qui est mort.

Alors Jeannine demanda :

— Et ça coûte combien pour le faire changer

Le mécanicien répondit :

— La maison qui fabriquait ces petites voitures n’existe plus. On ne trouve plus les pièces, et de plus, cette pièce coutait une petite fortune. C'est le coeur du moteur si vous préférez. 

— Alors on ne peut rien faire

— Rien du tout, répondit le mécano. On ne peut même plus la vendre. Personne n’en veut.

Jeannine, la mort dans l’âme, régla l’équivalent de cent dix euros pour le déplacement et le diagnostic. La voiturette resta là, sous l’auvent, à rouiller lentement. Comme si même la pauvreté avait fini par ne plus avoir d’usage. La voiturette devînt une cage pour les lapins.  On dit que les pauvres ne savent pas gérer l’argent. La vérité, c’est qu’on leur vend des choses qui ne sont faites pour durer que jusqu’à leur dernier billet. 

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