Ici, dans ce demi-désert, il n’y a presque pas d’eau douce, et pourtant la fraîcheur circule partout. C’est la première chose qui nous a frappés. En France, l’eau coule de toutes parts, mais tout semble devenu aride : les visages, les gestes, les voix. Un pays saturé d’humidité mais desséché de l’intérieur. Un pays où montent les cris, la colère, l’impatience, comme si chacun cherchait à percer une paroi invisible.
Ici, la vie avance lentement. On forge une pièce de métal, on relève des filets, on charge un camion, on garde quelques moutons dans un remorque. Un salon de thé tient dans deux bacs, une table, et un patron qui chauffe l’eau sur des braises. Rien de plus. Rien de moins. Chez moi, c’était une file de voitures soudées les unes aux autres, des gens nerveux qui ne savent même plus pourquoi. Peut-être simplement l’envie de sortir de ces véhicules devenus des wagons sans rails, glissant dans une vie qui ne mène plus nulle part.
Ici, on s’habille pour vivre, pas pour paraître. On ne change pas de tenue tous les trois jours. Dans la maison, un seul savon : pour le corps, le linge, la vaisselle, les outils. Les fonctionnaires se distinguent à peine : un vieux costume gris, une cravate fatiguée qu’ils retirent dès qu’ils rentrent pour enfiler ce vêtement ample qui garde la fraîcheur comme une seconde peau.Et puis il y a les couleurs. Le blanc aveugle. Le noir brûle. Le bleu, lui, s’accorde au pays. Il apaise, il protège, il respire. C’est peut-être la seule couleur qui ne lutte pas contre la lumière.
Alors, on s’est assis un moment. Rien de spectaculaire : un muret, un peu d’ombre, le vent qui passait comme s’il avait tout son temps. Ici, le vent n’est pas un événement, c’est une présence. Il ne cherche pas à convaincre, il ne pousse rien, il accompagne.
Devant nous, les silhouettes avançent lentement, comme si chaque geste devait être pesé, approuvé par la lumière. Un enfant tirait un âne minuscule, un vieil homme réparait une sandale, une femme plie un tissu bleu qui semblait retenir le ciel. Rien ne presse. Rien ne menaçe. Le monde tient debout sans bruit.
Et c’est là que la rêverie a commencé. Pas une rêverie qui emporte loin, non. Une rêverie qui ramène. Qui rappelle ce que c’est que vivre sans se battre contre le temps. Une rêverie qui dit : « Regarde, tout est déjà là. Tu n’as rien à conquérir. »
On a imaginé ce que serait une journée entière à ce rythme. Se lever avec le soleil, marcher sans but, laisser la chaleur décider de l’allure. Boire un thé trop sucré, parler peu, écouter beaucoup. Sentir que la vie n’est pas une course mais une respiration.Et soudain, la France nous est revenue en mémoire, mais comme un rêve inversé : un pays où l’on court pour ne pas tomber, où l’on parle pour ne pas penser, où l’on s’agite pour ne pas sentir le vide. Ici, le vide n’effraie pas. Il accueille. Il ouvre.Alors on a fermé les yeux. Le vent passait. Le bleu vibrait. Et pour la première fois depuis longtemps, on s’est dit qu’on pourrait rester là, immobiles, à regarder le monde se déplacer autour de nous.
C’est le vide qui remplit..Il y a des livres qui ne disent presque rien. Pas de grandes théories, pas de coups d’éclat, pas de phrases qui cherchent à briller. On les lit en se demandant où ils veulent en venir, pourquoi ils s’attardent sur un geste, un silence, un détail sans importance. On tourne les pages comme on marcherait dans une pièce vide, un peu surpris de tant d’espace.`
Et puis, sans qu’on sache comment, quelque chose se dépose. Une sensation, une respiration, une manière différente de regarder le monde. Comme si le livre avait ouvert une fenêtre plutôt que rempli une étagère. Ces livres-là ne donnent pas, ils laissent advenir. Ils ne remplissent pas, ils creusent. Et dans ce creux, quelque chose de nous peut enfin se poser.
Peut-être que la littérature la plus forte n’est pas celle qui s’impose, mais celle qui se retire. Celle qui laisse un espace où notre propre voix peut résonner. Celle qui ne nous dit pas quoi penser, mais nous rend disponibles à penser autrement.
La Mauritanie, c’est ça.
Karim, Mustapha le 18 décembre 2025
Ps: nous pensons avoir vu toutes les beautés, tout pensé, mais nous n'avons rien vu, rien compris.