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Je reviens vers trois heures du matin de la station-service où travaille Olivier. Il tient la nuit depuis des années. Il vend de l’essence, des friandises, nettoie les toilettes toutes les deux heures, recharge les machines à café.Une nuit ne ressemble jamais à l’autre : parfois calme, parfois débordée. Il faut des nerfs solides pour survivre à ce métier. La nuit, c’est le refuge des camés. D’abord le tabac, seize euros le paquet, une fleur fanée en automne. Puis, juste devant la station, le shit et la coke se négocient en douce. Parfois ça dégénère : insultes, coups. L’endroit est sous caméras. Quand ça devient trop violent, les flics débarquent, et tout ce petit monde détale comme des lapins, en attendant le prochain arrivage de Paris.
On parle des nuisances de l’immigration, alors que dans l’immense majorité, ce sont de bons Français qui alimentent le trafic. Les immigrés, eux, bossent dans le bâtiment, les bois, la restauration. La nuit, ils dorment. Le génie du Front national a été de recycler les saloperies de Hitler : tout est la faute des juifs hier, des étrangers aujourd’hui. Un accident ? Un étranger. Un viol ? Un étranger. Un crime ? Pareil. Tout est instrumentalisé. Le plus vicieux dans ce domaine reste de Villiers. Zemmour et Knafo, eux, se font payer des nuits d’hôtel à 2 500 euros à Saint-Tropez avec l’argent public. Fayard publie désormais ces grotesques avec l’argent de Bolloré. Pour faire objectif, on y glisse un socialiste.
Ces paumés de la haine répètent qu’un étranger qui ne travaille pas ne paie pas d’impôts. Mais l’impôt le plus lourd, c’est la TVA : même les enfants la paient sur les bonbons. Nous vivons une aliénation volontaire, un syndrome de l’autruche. Quand une société ne peut plus maintenir la paix sociale, elle propose la guerre des « races ».Olivier me confie que la consommation baisse sérieusement. Les prix sont devenus fous. Un paquet de vingt madeleines coûte 3,90 euros, trois fois plus qu’en grande surface. Deux pommes, deux euros soixante. Ce n’est plus de la vente, c’est du racket. Les routiers mangent désormais dans leurs camions. 6,70 euros le mini sandwich jambon-beurre, avec sa rondelle de cornichon obligatoire : lumineux. Une façon de gonfler sournoisement la valeur de leurs poisons.
Pesticides, gras, sucre, gluten au menu. Et après, le cancer, l’eczéma atopique, les douleurs chroniques qu’il faudra traiter aux dérivés de la morphine, pour finir complètement dément. Le fric des gangs de la pharmacie. Au bonheur des dames, écrivait Zola en décrivant les prémices du grand capitalisme à venir.Une bonne moyenne dans la moyenne, quoi. Faut rester lucide. Comme l’inflation : on mélange le prix des Caterpillar, des avions Airbus, des pianos Yamaha, des nouilles et de la sauce tomate en tube, et on obtient une inflation nulle à l’arrivée. Bientôt, on recevra des chèques de correction.
Le monde de la nuit, ce sont des ombres furtives, le rouge incandescent des cigarettes, des murmures, des filles qui marchent lentement.Assis sur le bord d’un bac à fleurs en béton, avec mon vieux pote grimé en pantalon et veste Total, on regarde cette planète sombrer dans la folie. Il n'y à que des Français et des routiers dans ce désert de lumières crues. Ils sont ou les étrangers ? Olivier ne vote plus. À force de faire barrage, il a usé ses dents. Même rogner un arbrisseau lui déclenche de vives douleurs. Je reprends la route une heure plus tard. Les phares éclairent ce qui ressemble de plus en plus à l’enfer de Dante.
La nuit s’achève, mais le mensonge continue. Le soleil se lèvera sur un pays qui marche les yeux fermés. La science cloisonne, la liberté relie. Et c’est dans l’échappée que naît la vérité. Le capitalisme doit feindre la liberté pour survivre, mais c’est dans cette feinte que naît la révolte. Comment en sommes nous arriver la ? Pourtant c’est logique car ce désordre n’à pris racine que dans le désordre.Comprenne qui peut.