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Début juin, la chaleur déjà bien installée, je m’étais embarqué sur le Porto Kalisélio, un ferry massif reliant Le Pirée à Héraklion, en Crète. J’avais opté pour le pont, le billet le moins cher, une quinzaine d’euros, et c’est là que se retrouvaient tous les routards, sacs à dos vissés aux épaules, jeunes de tous horizons, et quelques Grecs modestes rentrant au pays. On formait une sorte de tribu éphémère, bavardant sous les étoiles, partageant des morceaux de vie. À l’arrivée, ceux qui restaient devenaient compagnons de route.
Le bateau nous a déposés vers six heures du matin, dans un port encore engourdi par la nuit. Héraklion vivait alors presque exclusivement du tourisme. Les pêcheurs, rares mais tenaces, approvisionnaient les restaurants qui encerclaient le port comme une guirlande de tables et de parasols.
Je savais que les employeurs cherchaient du monde dans l’hôtellerie. Mon CAP de cuisine en poche, mon joker dans bien des galères, m’a vite ouvert une porte inattendue : un restaurant tenu par un couple d’Anglais venus refaire leur vie loin de Margaret Thatcher. John, le patron, s’occupait des courses et du poisson, sa femme gérait la salle et me donnait un coup de main le matin. Moi, j’étais aux fourneaux. Pour eux j'étais le messie qu'ils n'attendaient plus. La vie est encore bien souvent un miracle.
Le menu ? Simple et efficace : salade de tomates et concombres, feta, poulet grillé, poisson frais, moussaka, ce gratin d’aubergines qui fait fondre, et bien sûr, les incontournables frites. J’y ai ajouté ma touche française : sauté de chèvre à la bordelaise, brochettes, omelettes aux champignons… Succès garanti. Le job était bon, bien payé, et me laissait mes après-midis libres.
Je passais ces heures à nager, à pêcher, toujours une ligne de fond à l’eau pour garder la main. Parfois, je ramenais une dorade, une rascasse, ou même un petit thon nerveux venu chasser le fretin. La mer était généreuse. Le soir, j'allai danser dans une boite de nuit pour touristes qui délivrait du rock entre deux morceaux de Zorba le Grec. C'était sympa, bon enfant et surtout rien de prétentieux. C'était encore l'époque des amitiés loin des fachos du Rn, de Reconquête et autres saletés haineuses. Un peu l'ambiance des grands festivals pops.
J’avais décidé de rester deux ans. Deux années pour m’imprégner de la culture grecque, de l’Antiquité à aujourd’hui. Deux années pour vivre, apprendre, cuisiner, et peut-être me perdre un peu, pour mieux me retrouver. L'Odyssée de Homére m'avait ouvert très jeune les parfums et les mystères de la Méditerranée , je courrais après un songe.
Et bien entendu, vous allez encore me lire..😀