Je suis arrivé dans un bled en Normandie en soixante huit. Ce village de trois cent vingt habitants était peuplé de vaches , de moutons , d’ânes et d’une population malingre et imbécile. Je venais d’avoir douze ans et je sortais d’une maison de correction parce que ma mère était gravement malade et parce que mon père ne pouvait plus s’occuper seul de ses six enfants.
En maison de correction j’ai reçu des crachats , des coups , des injures et un toubib a même fait des essais disons thérapeutiques sur ce qui pour lui était de la viande. Pour évaluer des allergies , après avoir dessiné des carrés numérotés sur mon bras , il me faisait des piqures sous cutanés. Si ça virait au rouge et si ça me grattait c’était bon pour lui. En sortant , une éducatrice me donnais des bonbons .Parfois j’avais de la fièvre alors , quelques heures plus tard une autre éducatrice qu’on devait appeler cheftaine me donnait un comprimé d’aspirine . J'en suis pas crevé c'est déjà ça...
Cette maison de correction qui se trouvait a Denfert Rochereau accueillait des enfants de tous âges donc , jusqu’à la majorité qui a l’époque était de vingt et un ans . Je me souviens qu’il y avait de la bière a table , des bagarres et des épinards, ( légumes ô combien honni de ma personne ).
Bien entendu , il fallait tout manger sinon tu prenais des coups de torchons mouillés .On nous appelait les bicots , les bougnouls , les arabes. On me donna du porc pour la première fois . Je trouvais cette viande absolument délicieuse, ( comme quoi le pêché a du bon ).Le soir , c’était la douche en rang et le premier qui sortait du rang se ramassait encore des coups de torchons mouillés. C’était une manie ou plutôt une culture. Disons la culture de l’obéissance a coups de torchons .Sans doute très français cette " anthropologie " de la schlague ...
Le matin après la toilette on allait au réfectoire et on déjeunais de pain , de café et de margarine . C’était dur a étaler ce truc sur le pain et ça collait au palais .Ensuite , on allait en classe et un type nous racontait que la France était le pays qui avait inventé les droits de l’homme et qui aimait son peuple par dessus tout .Il parait que c’était le pays de la liberté , de l’égalité et de la fraternité .On notait tout ça dans un cahier en respectant la marge . La marge était réservé pour la correction souvent le type notait : bête comme un bicot .Il faut dire que ma langue maternelle c’était l’arabe et je pigeais pas trop des mots comme oesophage , bactéries , vaticination , prétorien , théologie.
Le dimanche on sortait dans Paris tous en rang habillé de bleu avec une cape sur les épaules. Cette tenue était un avertissement aux familles. Cette tenue ( bis ) disait en décodé : si vous élevez mal vos enfants , ils finiront déguisé en bleu et les gens sauront que vous êtes une mauvaise famille incapable de s'occuper et d'éduquer sa progéniture .
On allait au Parc Mansouri et sur les quais de la Seine. Les éducateurs buvaient de la bière et fumaient des gauloises. Pendant le parcours , on s’arrêtait parfois sous un pont pour pisser .Vers seize heure , les éducateurs nous donnaient deux tranches de pain d’épice et deux carrés de chocolat noir , ( c’est pas tous les jours dimanche ). Parfois , en rentrant , on écoutait la radio qui égrenait des chansons d'un type idiot qui portait un nom américain , (Halliday si ma mémoire ne me joue pas de tours ). Il y avait une autre idiote qui portait aussi un nom a coucher dans le gourbis , ll me semble que c'était Sheila .Artaïl ! Nall Dine Oumouk ( gros mots arabe ) qu'ils sont bêtes ces français me disais-je..
En rentrant , on soupait puis on allait aux douches et on se ramassait les éternels coups de torchon. On dormait dans des grands dortoirs a trente ou quarante et défense de parler après l’extinction des lumières sinon c’était encore les coups .Je pensais a mes parents , a mes copains d’école , a ma frangine qui était chez les filles et que je ne voyais plus.
En jours , un éducateur me prêta un livre . Je découvrais la poésie de Baudelaire pour la première fois et je compris de suite que je venais de gouter a une drogue qui allait donner du sens a ma vie. J'étais devenu un junk , un camé mais , la poésie allait éclairer le chemin du récipiendaire , , distiller dans ses veines le doux venin de la sainte ciguë , lui offrir en surplus , les merveilleuses scories de l'athanor.
Adelphiquement
Ps :ce récit très raccourcis pour l'occasion a été publié sous forme de nouvelles . Photo de l'auteur a 20ans..
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