À huit ans, j’ai été placé dans une famille d’accueil en Normandie suite à une maladie de mes parents après avoir séjourné six mois dans une maison de correction. Il fallait le temps que les services sociaux s’organisent parait-il. En attendant, j'ai pris des coups...En fait, cette famille d'accueil se résumait à une vieille dame de soixante ans qui avait perdu son mari des suites de la guerre. Comme aux yeux de l’état cette vieille femme n’était qu’un sous-produit exploitable à souhait, elle ne touchait pas de rente.
Heureusement pour elle, le couple avait réussi à acheter avant la guerre une micro ferme. Le bien se composait d'une maison, de deux bâtiments et d'une cour d'un hectare bordée d'une rivière poissonneuse. Cette vieille dame avait six vaches, un cochon, des poules et des lapins. Pour vivre un peu plus correctement, elle gardait quatre Arabes de la DASS dont moi , et raccommodait des vêtements le soir auprès de la cheminée en nous racontant les histoires du temps jadis.
Tous les samedis étaient un jour de fête car nous allions en vélo faire le marché dans un bled qui se trouvait à sept km. La grand-mère avait son vélo et la voisine me prêtait le sien. Au marché , on achetait des canetons , des poussins , de la poirette à repiquer vendu par cent dans un papier de journal, du fil en coton, des boutons . Ma grand-mère en profitait pour aller chercher un peu d’argent liquide au crédit agricole. Elle avait déjà à l’époque un million de côté ce qui représentait une coquette somme.
Un jour , le banquier d’un ton grave dit à ma grand-mère.
- Les affaires ne vont pas bien. L’argent ne vaut plus rien donc les intérêts de votre livret passe de quatre pour cent à un pour cent.
-Mais ce n'est pas possible répondit ma grand-mère " d'adoption "car tout augmente.
-Je sais répondit le banquier d’un air agacé, mais c’est comme ça. De toute façon, mais vous ne pouvez pas comprendre les sommes de difficultés auxquelles nous sommes confrontées.
La vieille dame réfléchit une seconde et dit.
- Hé bien, préparez-moi mon million, je retire tout mon argent.
Le type accusa salement le coup et dit.
- C’est dangereux madame tout cet argent en espèce , vous risquez d’attirer des voleurs chez vous.
Ma grand-mère , les lèvres pincées de rage répondit du tac au tac.
- Les voleurs, il y en a de toute sorte.
Puis, nous sortîmes fiers comme la justice heureux d'avoir coincé ce rat dans la tapette.Dans la semaine, la grand-mère prépara une sorte de ceinture banane (elle aurait dû déposer le brevet soit dit en passant ), et me dit.
- On va retirer le million, tu porteras l’argent sur ton ventre et tu auras une belle récompense.
Le samedi suivant, le banquier la rage au cœur nous délivra une énorme liasse de billets que la grand-mère compta devant lui sur le comptoir. Puis, je glissais le trésor dans le sac-banane. En partant, ma grand-mère m'achetait un pain au lait et une barre mars. Il parait qu’avec ça “ on repart”... Pendant le retour, je tenais pratiquement le guidon de mon vélo d’une seule, main l’autre posée sur le magot. Avec tout cet argent, la grand-mère acheta pour huit ans de bois de chauffage qui venait justement d’augmenter de 5 francs le stère.
Elle gagna au moins dix fois la somme en intérêts. Piaget disait L'intelligence ce n'est pas ce que l'on sait , c'est ce que l'on fait lorsque l'on ne sait pas.......
