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J’ai repris les cahiers de l’ethnologue et, avec l’aide de Karim, j’ai enquêté un peu sur cette plante qui véhicule et provoque à la fois tous les espoirs et toutes les peurs.Les gens du Rif se sont toujours battus : d’abord contre le colonisateur, ensuite contre l’État marocain. Leur vie a toujours été une survie. L’unique ressource de beaucoup de paysans, de simples travailleurs, c’est le haschich, en arabe, le kif. C’est devenu la seule richesse.
Afin de sortir de cette impasse, le roi a décidé que le haschich serait reconnu comme une plante aux effets thérapeutiques, à condition d’en réduire le taux de THC, cette substance considérée comme dangereuse. Mais le problème, encore une fois, c’est que les milliards générés par cette plante sont déjà convoités par les grandes sociétés et le grand banditisme. On l’utilise aussi en cosmétologie, et lorsqu’on observe les profits du groupe L’Oréal, on peut dire que la boucle est bouclée. Les paysans n'auront rien, les capitalistes auront tout.
Nous avons parlé avec deux petits producteurs qui ont vite compris que Karim pouvait devenir leur meilleur ami. Ils survivent grâce à cette plante. À côté, ils élèvent quelques moutons, cultivent un jardin, et la femme fabrique des cuillères en bois pour les touristes.Dans les vallées escarpées, les pistes s’entrelacent comme des cicatrices. Chaque virage raconte une histoire de résistance, chaque pierre garde la mémoire des insurrections oubliées. Le Rif n’a jamais cessé de se défendre : contre l’oubli, contre la misère, contre les promesses creuses.
Le kif, lui, est devenu un langage. Une plante qui dit la faim, la débrouille, la survie. Une plante qui dit aussi la dépossession, car les profits s’évaporent vers les multinationales, tandis que les paysans restent prisonniers de leurs champs. On leur parle de thérapeutique , de cosmétique , de marchés mondiaux ; eux n’entendent que le bruit des dettes et des récoltes incertaines.
Karim sourit, mais ses yeux savent. Les producteurs qu’il rencontre n’attendent pas des discours, ils attendent qu’on les écoute. Leurs moutons, leurs jardins, leurs cuillères de bois pour touristes sont les fragments d’une économie parallèle, fragile, mais tenace.Et sur cette route du Rif, on comprend que la plante n’est qu’un prétexte. Le vrai combat, c’est celui de la dignité. Le kif, c'est les roues arrières en scooter dans les banlieues même si le parallèle peut paraitre troublant, incongru.
Ces gens rudes et dignes nous ont offert le thé, nous leur avons donné deux grandes serviettes éponges, un immense luxe pour ces gens si pauvres. , si accueillants. Je suis réparti avec trois cuillères en bois, Karim avec des graines, et tous les deux avec de grands sourires de reconnaissance .
Maroc, 28 Novembre 2025
Karim, Mustapha