Il a 60 ans, travaille comme chauffeur pour une entreprise de taxi, et gagne entre 2000 et 2200 euros par mois. Depuis toujours, il refuse de se plier aux normes de la société de consommation, surtout quand il s'agit du logement. Comment justifier de dépenser 1000 euros pour une chambre de 7 mètres carrés plus les charges ? C’est là que son choix se fait : il préfère vivre dans une camionnette rouillée qui ne roule plus, stationnée à l'orée d'un bois, dans un repli de la vie, loin des attentes et des faux conforts de la ville. Cet endroit, bien qu’insolite, devient son sanctuaire. Il y trouve la paix, une sorte de retrait du monde qui le rend plus libre, plus serein. Son vélo électrique, qu’il recharge tous les jours sur le parking où sont stationnées les voitures de l’entreprise, est un symbole de son indépendance.
Contrairement aux autres chauffeurs, qui se battent pour des horaires et des courses plus rentables, lui, il choisit sa liberté à la place d’un confort coûteux. Chaque matin, il se prépare un café instantané dans sa camionnette, comme si chaque geste, aussi modeste soit-il, lui permettait de maintenir son lien avec une simplicité qu’il chérit. Puis, il enfourche son vélo, traverse les rues, et se dirige vers la piscine municipale. Il récupère ensuite la voiture de taxi de l’entreprise, branche à nouveau son vélo électrique pour gagner en autonomie. Il aime la solitude de son travail, où la routine est rythmée par l’accueil des clients et les trajets monotones, mais il trouve un certain réconfort dans cette répétition. Il préfère ne pas se mêler aux grandes discussions ou aux blagues des autres chauffeurs.
Il aime l'idée que son emploi du temps soit décalé, car cela lui permet de vivre à son propre rythme, loin des pressions de la société de consommation. Le midi, c’est souvent un sandwich pris à la va-vite dans un mini-market, un petit moment de réconfort. Le bar où il mange ne lui reproche jamais de ne pas consommer beaucoup : il a cette habitude de payer toujours le double café en même temps que son repas, le patron lui apporte aussi un verre d’eau. Un geste symbolique, peut-être, qui montre qu'il ne veut jamais être perçu comme un parasite, même dans sa manière de consommer.Le soir, dans la chaleur de la camionnette, il se contente de réchauffer une boîte de conserve. Il n’a pas besoin de plus. Il regarde la télévision sur son téléphone portable, pas pour se divertir, mais pour s’informer, pour se raccrocher aux réalités du monde qui l’entoure. Il ne veut pas être totalement coupé des évolutions extérieures, même si, au fond, il préfère le calme de sa vie modeste à la frénésie des sociétés modernes.
Il met de côté 1000 euros chaque mois, comme une promesse silencieuse qu’il se fait à lui-même : la liberté n’a pas de prix. Il rêve, presque de manière obsessionnelle, de s’en aller loin, très loin, une fois qu’il aura suffisamment économisé. La Guyane, Tahiti... il ne sait pas encore où il ira, mais peu importe. Ce qu’il cherche, c’est un lieu où il pourra enfin respirer, un endroit où il n’aura plus à courir après les choses qui, à ses yeux, ne comptent plus : les maisons trop grandes, les loyers exorbitants, les vies confinées dans des cases.
Il n’a pas honte de son choix de vie. Au contraire, il en est fier. Il trouve sa force dans cette quête d’autonomie. Parce que dans ce monde qui semble toujours plus pressé, plus exigeant, il a fait le choix de se retirer, de vivre autrement, loin des illusions de réussite que le système essaie de lui imposer. Peut-être que, d’une certaine manière, il est plus libre que ceux qui courent après les étoiles.
Son rêve de retraite n’est pas juste un désir d’évasion, mais un acte de résistance. Résister à un monde qui l’a souvent traité comme invisible. En partant vivre ailleurs, il cherche à se reconnecter à quelque chose de plus profond, d’essentiel : un espace de liberté, une nature qu’il pourra embrasser sans contraintes, sans regard. Un lieu où il pourra, enfin, respirer à plein poumons, loin de l’ombre des grandes villes, des attentes, des jugements.
Il est prêt à tout sacrifier pour ce rêve. Car dans ses yeux, il y a une lueur de vérité : la liberté n’a de prix que celui qu’on est prêt à payer. Et lui, il est prêt.
Ps: enquête Vincennes, photo internet.