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Billet de blog 26 décembre 2022

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l'amour en distanciel

Je le regardais et constatais qu’il s’était mis, tout affolé, dans tous ses états et, au fond de moi-même, J’eus pitié de lui. Mais je n’ai rien laissé paraître.

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L’immense douleur de l’excitation de

                          Soria

                                                           -1-

     Je n’ai jamais vu mon père révolté contre moi comme je l’ai vu ce jour.

    Mon pays est en pleine crise sanitaire, et la panique y gagne les cœurs chaque jour.  Très proche de l’Europe, moins de sept miles seulement le séparent de l’Espagne. Sous les cieux de ce voisin du nord avec lequel il est attaché par toutes les liaisons dont aucune n’est à sacrifier, l’épidémie causée par le nouveau coronavirus s’étend toujours  à grande vitesse. Cependant la   situation sanitaire catastrophique mais aussi poignante qu’on ne l’aurait jamais imaginée où le virus a ravagé le plus c’est en  Italie, cet espace   sur les  terres européennes que tous mes concitoyens enchérissent tant. Allez savoir pourquoi ! Mais bien sûr, puisque des milliers de Marocains non seulement y vivent en trouvant du travail mais aussi leurs parents, âgés et dépourvus de tout bien qui leur permettrait de se soigner correctement dans leur pays, y trouvent soin dans des hôpitaux bien équipés et un personnel soignant de probité exemplaire :

  • Est-ce que tu n’es pas conscient du fait que la mort rôde partout sur terre ? Me demande mon père, irrité…

      Je le regardais et constatais qu’il s’était mis, tout affolé, dans tous ses états et, au fond de moi-même, J’eus pitié de lui. Mais je n’ai rien laissé paraître. Il se tut un moment qui m’a paru comme si c’était un siècle, car il n’a pas arrêté de me regarder. Mon père n’est pas violent, au contraire, il est doux, et préfère la sérénité au trouble  quelque soit les oppositions qui pourraient bien mettre quiconque en dehors de lui.

      Tout cela est arrivé à cause de la visite de Soria, ma gracieuse  fiancée. On s’aime à la folie. Notre amour ne voulait ni admettre ni comprendre  ce burlesque et caricatural état d’urgence sanitaire suivi de mesures dont le confinement est l’aspect le plus cruel. Cela est vrai pour tout le monde, mais pour Soria et moi, cela était monstrueux. Comment pourrions-nous faire, Soria et moi, pour ne pas rencontrer chaque jour alors que nous tardions déjà de nous détacher  de nos deux familles et faire comme tout le monde :  voler de nos propres ailes et aller vivre indépendamment !

       Le gouvernement de mon pays a déclaré l’état  d’urgence sanitaire, prenant des mesures préventives pour limiter - insiste-t-il -  la  propagation du nouveau virus, ce mois de mars 2020. Nos fiançailles étaient officialisées au mois de septembre 2019. Six mois à peine ! Ce Coronavirus n’aurait pas dû attendre quelques années encore et ne pas tomber à une période où nos deux familles se préparaient pour notre fête de mariage avec tout ce que cela exige : de longs et complexes préparatifs. « Une nuit pour fêter un mariage exige une année de préparations » accentue ma grand-mère du côté de ma mère. Elle vit avec nous et, depuis nos fiançailles, elle n’arrête pas d’en parler. Lorsque j’avais annoncé pour la première fois que j’avais une liaison avec une fille, et que nous sommes tombés d’accord pour nous marier,  elle lança un  long et interminable  youyou rugissant. Je suis plus ami avec ma grand-mère qu’avec ma mère.  Celle-ci, nous l’appelons, le maréchal. C’est entre nous les trois, ma sœur Hiba, mon frère Amal   et moi. Elle ne l’a jamais su et j’espère qu’elle ne le saura jamais. Ils nous arrivent de parler devant elle en employant ce titre que je lui avais moi-même fabriqué, sans qu’elle s’en rende compte que c’est bien d’elle que nous parlions. Et tout cela nous amuse bien. Mon père le savait, Sûrement, il l’aurait comprit à partir de nos échanges habituels. Cela plaisait à lui aussi, c’est certain.  Quand ma mère dit quelque chose, il faut l’écouter. On ne discute pas avec le maréchal. Par contre, lui, sauf quand il s’agit de conduites liées à  notre scolarité, et à celle de notre nutrition, pour lesquelles il ne tolère aucune objection. Pour le reste il laisse «couler  l’eau » selon  l’expression arabe traditionnelle voulant dire ‘’laisse tomber et, ne sois pas trop ferme’’. Il a dans l’héritage de l’éducation des enfants des idées plutôt bizarres en le comparant avec certains pères de culture musulmane. Il nous fait écouter des chansons de grande valeur, genre Marcel Khalifa, Ouméma, Jaques Brel, Aznavour, Doukkali, Hayani, Ruicha, Oum Kaltoum, Fairouz, Najat, Asmahane, etc…et il nous tire pour qu’on danse avec lui. Pour lui, l’enfant doit être libre dans la maison, on ne doit rien lui refuser :

            -Même s’il sème la pagaille dans la maison ? S’indignait ma mère !

            - Et alors ?

             - Même s’il casse des choses de valeur dans la maison ? S’exclamait encore le maréchal

             - Même…Rien n’est aussi valeureux qu’un enfant, philosophait encore mon père !

             - Tu appelles ça de l’éducation toi ?

          En fait, ils sont d’accord sur tout, ou presque. Mais dans les rares cas où ils n’arrivaient pas à se mettre d’accord, c’est toujours mon père qui cède.  Il s’infiltre calmement dans le coin où est installée sa bibliothèque, tire un livre, et le tends à ma mère :

         -Tiens lis ça, surtout le chapitre … (et il lui indique un chapitre qui, selon lui, convient au sujet de leur discussion).

          Souvent, ça finissait comme ça. Lui, on l’appelait, monsieur Booking. Si c’était ma mère qui révisait avec nous les leçons scolaires  ou,  nous guette à propos des exercices à faire à la maison,  c’était lui qui nous lisait les  histoires d’enfants. Et quand nous avions un peu grandi, il était hors de question qu’on ne lise pas un livre et en faire un petit exposé oral une fois le livre achevé d’être lu. Il avait raison puisque la lecture, avec nos sports préférés sont devenu  dans notre existence comme un accoutrement de tout à fait normale.

           Mais tout ça est révolu. Nous avons avancé dans l’âge. Finies les études, nous avons trouvé du travail et chacun s’est envolé de ses propres ailes. 

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