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Billet de blog 2 mars 2010

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L'administration du TPIR 1 - le labyrinthe bureaucratique

L’Union soviétique existe toujours bel et bien. Elle s’appelle ONU. Et si je parle d’URSS, je ne fais pas référence à des notions tombées en désuétude comme la protection sociale universelle (de ce côté-là, pas de problème, les derniers bastions du l’axe du Mal ne sauraient tarder à tomber), mais plus spécifiquement à l’appareil bureaucratique idéologiquement neutre qui combine excroissance monstrueuse, inefficacité à la mesure de son gigantisme, et parfaite incompétence de la plupart de ses maillons (ou résignation : on peut se battre, on ne peut pas vaincre).

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L’Union soviétique existe toujours bel et bien. Elle s’appelle ONU. Et si je parle d’URSS, je ne fais pas référence à des notions tombées en désuétude comme la protection sociale universelle (de ce côté-là, pas de problème, les derniers bastions du l’axe du Mal ne sauraient tarder à tomber), mais plus spécifiquement à l’appareil bureaucratique idéologiquement neutre qui combine excroissance monstrueuse, inefficacité à la mesure de son gigantisme, et parfaite incompétence de la plupart de ses maillons (ou résignation : on peut se battre, on ne peut pas vaincre).

Le TPIR, c’est l’empire des chefs et de leurs secrétaires. Le responsable d’une décision n’existe pas. Pour en illustrer le fonctionnement, postulons l’existence d’un document fictif, que nous nommerons « Mescouilles ». Et suivons le parcours de Mescouilles. Pour obtenir Mescouilles, il est nécessaire de présenter un formulaire qui lui-même n’est disponible qu’après avoir obtenu Mescouilles. Et lorsqu’enfin, par un miracle quotidien qui est en même temps la négation et la substance vitale de la Bureaucratie, on arrive au terme d’une Longue Marche (au sens propre, les kilomètres de couloirs, de bureau en bureau, du K133D censé se trouver dans le bâtiment Kilimandjaro 1er étage bureau 133D mais qui en fait n’existe pas, au S512 – bâtiment Serengeti -, fermé pour une raison indéterminée - avec un peu de chance on apprendra que Miss Ugali est 1/ en formation 2/ en vacances 3/ à l’hôpital, qu’on ne sait pas quand elle reviendra – et pas de bol ce bureau est une étape indispensable pour l’obtention de Mescouilles, et finalement en buvant une boisson fraîche à la cafét’, un dernier verre avant d’aller se jeter sous les roues d’un 4x4, on tombe sur la dame, qui nous explique benoîtement que c’est désormais un bureau 04 du KM qui est chargé de la procédure modifiée depuis deux mois), au moment où se profile le bout du tunnel, il se trouve que les droits afférents à Mescouilles viennent d’être suspendus pour les précaires (short term, c’est notre petit nom, car la bureaucratie est exploito-compatible). Et il y a comme ça des milliers d’actes bureaucratiques à accomplir lors d’un séjour au TPIR. Quand on craque, qu’on n’en peut vraiment plus, qu’on sent la folie s’immiscer dans les lézardes de notre cerveau, alors mieux vaut faire un break et bosser un peu, histoire de se détendre. Mais attention ! pas trop, sinon on n’aura jamais le temps de boucler les formalités avant la fin du contrat.

Les premiers temps, la ferveur religieuse affichée dans la plupart des bureaux (affichettes marquant la dévotion aux desseins du Tout-Puissant) me paraissait être l’expression d’une foi d’avantage ancrée dans les sociétés africaines que dans la France en voie d’athéisation (l’Africain est crédule, superstitieux, m’avait averti une copine par ailleurs de caractère volcanique – c’est normal elle est Scorpion ascendant poisson, quand le feu rencontre l’eau ça fait de la vapeur, comme dirait ma cocotte-minute). En fait, non. Croire en Dieu, à l’ONU, pourrait être le seul moyen de survivre psychologiquement, d’affronter l’incompréhension quotidienne, de justifier un arbitraire sans visage, issu de la machine aveugle dont chacun est un rouage indispensable et parfaitement inutile. Croire en dieu, c’est donner un sens à ce qui ne semble en avoir aucun, c’est espérer que finalement l’Objectif (c’était quoi déjà ?) de la Bureaucratie sera atteint un jour.

Ce qu’il y a d’incroyable, au Tribunal pénal d’Arusha, ce n’est pas la disproportion entre les moyens engagés et ses résultats ridicules (47 jugements en 14 ans pour quatre chambres et 1,5 milliard de dollars – soit, rapporté au Rwanda, l’équivalent budgétaire d’une année et demie pour juger 47 personnes alors que le pays a dû en juger, seul, des centaines de milliers...), c’est que malgré tout il parvienne à produire quelque chose.

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